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Photo du rédacteurMauricette Dupont

Sur la route du porc ibérique

Voici quelques jours que nous sommes installés en Estrémadure, avec la ferme intention de rencontrer un éleveur de porcs ibériques. Pourquoi? Parce que le territoire espagnol, plus spécifiquement la région de l'Estrémadure (en réalité on parle plutôt d'un territoire qui s'étend de Salamanque en Castille et Leon jusqu'au nord ouest de l'Andalousie) possède une spécialité: l'élevage de porcs ibériques en plein air, sous les chênes de la Dehesa (pour plus d'explications sur la Dehesa, voir la petite vidéo de Bastien à ce sujet).

On va pas se mentir, ça fait un moment que je piétine d'impatience de découvrir ce système d'élevage...

On a débuté nos recherches lundi. Lundi et mardi, nous avons sillonné la Dehesa en quête du fameux cochon. A chaque fois que l'on voyait un bâtiment d'élevage et quelques porcs sur de la terre battue ou sous les chênes, on s'arrêtait pour demander s'il était possible de visiter la ferme et d'échanger avec l'éleveur. Après de nombreux kilomètres sur des chemins de terres remplis de nids de poules et la bouche asséchée par mon espagnol approximatif, nous avons essuyé 7 refus sur ces deux journées, avec de nombreux prétextes:

- "nous sommes employés, nous ne pouvons pas faire visiter"

-"nous ne connaissons pas le propriétaire"

-"nous ne faisons pas d'élevage de porcs" (bah c'est quoi ces trucs à 4 pattes qui se roulent dans la boue derrière vous?) 😌

Autant vous dire que mardi soir, on s'est couché bien déprimés... Mais aussi plus déterminés que jamais à relancer notre recherche le lendemain. Mercredi fut un jour de chance pour nous. On s'arrête dans une grosse ferme repérée la veille, on tope un mécano qui bossait sur place, on lui sous-tire le numéro du propriétaire des lieux, qu'on appelle et ... Miracle, il accepte de nous rencontrer et nous faire visiter!


C'est ainsi qu'on a fait la connaissance de Pedro, 29 ans. Pedro élève des porcs ibériques avec son frère et son père autour du village de Barcarotta. A eux 3, ils ont la gestion d'un complexe de 5 fermes (2 fermes de reproduction, 3 fermes d'élevage pour les jeunes). Ils emploient 4 salariés à temps plein pour l'élevage des cochons et 2 salariés pendant la période de "bellota" (bellota=gland ; il s'agit de la période d'élevage des porcs sous les chênes).


C'est le moment où tous les connaisseurs de l'élevage conventionnel de porcs Français peuvent se préparer à faire un tour dans leur slip!

Chez Pedro, on élève 300 truies en 3 bandes, espacées de 35 jours. Elles élèvent en moyenne 18 porcelets par an (7 porcelets par portée). Les reproducteurs sont élevés autour des bâtiments, en courettes extérieures majoritairement, puis en loges individuelles pour les truies durant la mise bas & la lactation. Les porcelets, quant a eux, bénéficient d'un parcours de vie qui ferait baver bon nombre de nos petits cochons blancs (heureusement pour eux, ils ne le savent pas 😁). Après le sevrage à 28 jours d'âge, les porcelets évoluent d'abord en bâtiment avec courette exterieure, puis en parcs de 2 hectares, pour finalement rejoindre la Dehesa en octobre (la saison des glands s'étale d'octobre a février). Ce parcours est conçu pour assurer la réussite d'un grand projet: élever les porcs dans la Dehesa.

Ça n'y paraît pas, mais l'élevage des porcs dans la Dehesa est un peu plus compliqué que l'élevage plein air dans nos régions de l'Ouest. Chez Pedro, les porcs évoluent sur 3500 hectares de Dehesa, à raison de 2 à 7 hectares par porc! Le porc ne bénéficiant pas (encore) du GPS, le jeune porc en croissance doit développer ses abdos-fessiers pour grimper la montagne et entraîner son odorat pour trouver la nourriture et l'eau.



Côté boulot, ce n'est pas de tout repos. Pendant la période des glands, chaque jour, les éleveurs sillonnent la Dehesa pour veiller sur les animaux, soigner les malades, contrôler les clôtures ce qui représente un temps de travail conséquent.


Chez Pedro, ce sont 5000 cochons qui naissent chaque année. La moitié d'entre eux sont 100% ibériques, l'autre moitié sont croisés Ibérique x Duroc (des petits rouquins!). Parmi eux, 3000 porcelets sont vendus à 11kg aux fermes qui ne possèdent pas de mères. Les 2000 porcs restants (sélectionnés parmi les meilleurs) sont gardés et élevés en Dehesa jusqu'à 170kg environ, pour produire le merveilleux "Jambon de bellota" AOP.



Pedro nous a exprimé son plaisir d'élever ses cochons en liberté dans la Dehesa. Il nous a aussi répété que son métier était avant tout un métier de coeur: "Si tu ne le fais pas par passion, tu oublies". En effet, contre toute idée reçue, la rémunération des éleveurs de Jambon de bellota est fluctuante selon le marché et la qualité de la production annuelle (loi de l'offre et de la demande, qualité des glands à disposition qui varie...). Par ailleurs, les porcs ibériques élevés en Estrémadure sont, pour une bonne partie, détenus par quelques multinationales qui font la pluie et le beau temps sur le marché (leur poids sur le marché impacte fortement le cours du jambon, au détriment des entreprises familiales).


Malgré une taille d'exploitation conséquente, qui tourne avec plusieurs salariés, l'entreprise de Pedro demeure en effet familiale. Chez lui, on travaille avec la volonté de maintenir le caractère authentique de la production. Par exemple, la reproduction des truies est réalisée en monte naturelle et le renouvellement du troupeau est assuré par la descendance née sur l'exploitation.


L'élevage des porcs ibériques dans la Dehesa est une belle illustration de l'adaptation d'un système d'élevage à un territoire. Les porcs valorisent plusieurs milliers d'hectares non cultivables en utilisant une ressource, le gland, produit en très grande quantité sur ces immensités boisées.



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