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Photo du rédacteurMauricette Dupont

Le goût pour les bonnes choses

Comte de Dracula, forêt hantée de Hoia Baciu et autres légendes vampiriques… la Transylvanie abrite de nombreux mythes fantastiques qui attisent la curiosité de ceux qui y séjournent. Dans cette vaste région qui borde l’Ukraine, la Hongrie et la Serbie, nous avons traversé les plaines qui s’étendent au Nord-Ouest de la Roumanie et nous nous sommes laissés guider jusqu’au pied des montagnes des Carpates. Notre curiosité, à nous, s’est portée sur un autre habitant de la région : le porc Bazna. Ses canines sont moins affûtées et son teint moins pâle ! Le porc Bazna est un petit porc noir et blanc résistant à la météo rigoureuse de l’hiver Roumain. Sa robustesse, il la tient sûrement du porc laineux Mangalitsa, qui peuple le territoire Roumain et dont il descend. Mais son pelage noir, lui, il le tient de ses origines Saxonnes ! En effet, le Bazna est issu du croisement entre le Mangalitsa et le porc Berkshire, apporté par les Saxons qui vivaient auparavant dans la région. Le Berkshire lui a donc apporté cette teinte noire, mais le travail ne fut réalisé qu’à moitié : le Bazna est parcouru d’une grande ceinture blanche au niveau des épaules. Peut-être l’aurez-vous remarqué, le Bazna est un cousin du Cinta Senese, que nous avions rencontré en Italie.


Photo. Porcs Bazna


« Transylvanie » signifie « au-delà des forêts » et c’est une bonne illustration de la part qu’occupent ces dernières dans le paysage roumain. Alors que les plaines sont majoritairement occupées par les cultures de céréales, de houblon et de tabac, les montagnes et les forêts de Roumanie sont les espaces privilégiés pour l’élevage. On y élève majoritairement les moutons, mais pour les éleveurs il est aussi coutume d’élever « accessoirement » quelques porcs, pour valoriser les ressources existantes, y compris les espaces boisés. Pour certains, l’élevage des porcs s’apparente fortement à l’élevage de moutons : les porcs pâturent librement, sans clôture, sous l’œil de l’éleveur qui surveille le troupeau porcin. Une pratique qui tend à disparaître par la dissémination de la Peste porcine Africaine, qui ravage les petits élevages extensifs Roumains. Non, ici, ce ne sont pas les réglementations sanitaires qui détruisent ces élevages, mais bien la maladie elle-même. Lucian Scumpu est maire du village de Bazna, celui qui a donné son nom au petit cochon noir et blanc. Nous l’avons rencontré avec Ben Mehedin. Tous deux dirigent le Presidium Slow Food du porc Bazna. Un presidium qui a vu le jour juste avant l’épidémie de Peste porcine Africaine. C’est en souriant que Ben et Lucian admettent que la date de création du présidium était mal choisie : la Peste porcine a détruit plusieurs troupeaux de porcs Bazna dans la région, si bien que sur les 16 producteurs de Bazna du présidium, seule la moitié élève encore des porcs aujourd’hui. Il y a peu, Lucian élevait encore 45 porcs Bazna sur sa ferme. En 24 heures, il a vu partir son troupeau de la Peste. Alors quand on lui demande si l’achat de clôtures pour protéger l’élevage n’est pas trop coûteux, il sourit et dit : « Le prix n’est pas si important au regard de ce que me rapportent normalement mes cochons ». Cela ne l’empêche pas d’émettre quelques doutes quant à leur efficacité, puisque selon lui, ses porcs ont été infectés malgré les clôtures. Il met en cause les oiseaux qui s’alimentent des cadavres de sangliers et pour lesquels il n’existe pas de solution préventive.


Ben et Lucian ont toutefois tenu à nous emmener à la rencontre du porc Bazna, qui fait la fierté du village et de la région, où il est populaire. C’est Adrian, le frère de Lucian, qui nous a accueilli à sa bergerie, sur les hauteurs du village de Boian, à deux pas du village de Bazna. Adrian élève ici quelques 200 brebis de race locale Tsurcana pour la fabrication du fromage régional, le Brindza ! Adrian possède en parallèle quelques dizaines de porcs Bazna et Mangalitsa, qui vadrouillent dans les environs de la bergerie. Ici, pas de clôture, les porcs font bien comme il leur chante ! Mais ils ne s’éloignent jamais bien loin de la bergerie, où Adrian leur donne du maïs et du petit lait. Un casse-croûte qui les maintient à proximité, même si cela ne les empêche pas, de temps à autre, de s’éloigner un peu trop au goût des voisins : « il arrive que les cochons descendent jusqu’aux champs de maïs, en bas dans la vallée ! » rient Adrian, Lucian et Ben. Pendant que nous discutons, l’un des quatre bergers qui travaillent avec Lucian a descendu la colline sur laquelle est installée la bergerie. Il remonte quelques minutes plus tard et devant lui, maman Bazna et ses petits font leur apparition. En moyenne, les truies Bazna donnent naissance à 8 ou 9 porcelets par portée et produisent un peu plus de deux portées par an.


Photos de gauche à droite. 1. Bergerie d'Adrian. 2 et 3. Porcs Bazna et Mangalitsa d'Adrian. 4. Un des chiens de berger veille sur la bergerie


« Il y a 50 ans, toute la Transylvanie produisait du Bazna. » explique Ben. Le cochon noir et blanc est en effet fort réputé pour son lard dorsal, que l’on fume dans les greniers des maisons traditionnelles. On le consomme volontiers seul ou accompagné d’autres mets issus des terres roumaines : le fromage Brindza, des oignons, de la charcuterie, du lard frit, sans oublier un verre d’eau de vie locale. Chez Adrian, nous avons dégusté cet assemblage culinaire à première vue peu diététique, arrosé de quelques verres d’eau de vie. D’abord, les hommes s’amusent en mettant en avant leur goût pour la bonne nourriture. Dans un second temps, on comprend sans difficulté que la richesse du repas apporte l’énergie nécessaire au travail du berger, qui trait ses 200 brebis à la main deux fois par jour, conduit le troupeau la journée et veille sur lui la nuit, à l’affût d’éventuels prédateurs. L’eau de vie, elle, réchauffe et protège des maladies. « D’ailleurs, elle éloigne le Coronavirus ! » s’exclament de joie les trois hommes.


Photo. Charcuterie, lard frit et Brindza

Photo. Echange culinaire avec Adrian (à gauche) et Ben (à droite)


Aujourd’hui, la sédentarisation, les travaux moins physiques et la recherche d’une alimentation saine ont rendu la consommation du gras de porc fumé moins attractive. Les élevages de porcs Bazna disparaissent progressivement des campagnes roumaines, poussés également vers la sortie par les élevages de porcs industriels en claustration, auxquels le Bazna ne peut s’adapter. Pourtant, le Bazna a certes une bonne capacité à stocker le gras, mais sa conduite extensive parmi les pâtures et forêts Roumaines lui confère un lard riche en acides-gras polyinsaturés : du bon gras, en somme ! La création du presidium Slow Food a pour objectif de maintenir l’élevage du porc Bazna sur les terres de Roumanie et de communiquer sur la valeur nutritionnelle et gustative de la viande et du lard. Malgré les aléas sanitaires (la Peste porcine Africaine, le Coronavirus) qui bousculent les projets pour la protection du porc Bazna, Ben Mehedin, Adrian et Lucian Scumpu nous ont offert leur optimisme et leur bonne humeur pendant cette journée à la rencontre du cochon noir et blanc. Nous avons bien mangé, nous avons bien bu et nous repartons enrichis d’une belle tranche d’histoire du pied des Carpates.


Photos. Troupeau de moutons Tsurcana (tête blanche) et quelques croisés (tête noire) d'Adrian.


Le saviez-vous ?

- Qui se cache sous la laine ?

Adrian et ses quatre bergers élèvent les moutons Tsurcana pour la fabrication de fromage Brindza. Matin et soir, les brebis sont traites sous une petite structure en bois. A proximité de la petite « salle de traite », se trouve la « chambre » du berger. C’est une petite cabane rudimentaire qui accueille tout juste un lit. C’est ici que le berger sommeille la nuit, tout en veillant sur son troupeau. Sur le lit, on trouve ce qui s’apparente à une grosse couverture en laine épaisse. C’est en réalité un manteau, confectionné à partir de la peau laineuse des moutons Tsurcana. Ce gros manteau qui pèse plusieurs kilos protège du froid, mais pas seulement ! Il est aussi un leurre pour l’ours, le principal prédateur de la région. Ben nous raconte : « Lorsque l’ours en quête de nourriture attaque un troupeau de moutons, il cherche le plus gros mouton du groupe. Lorsqu’il voit l’homme sous son manteau de laine, il le confond et le prend pour un gros mouton. Il se jette sur l’homme, mais ce dernier est protégé par son gros manteau, qui lui confère une longueur d’avance sur l’ours. »


Photos de gauche à droite. 1. Parc et abri pour la traite des brebis. 2. Cabane du berger pour la nuit. 3. Ben porte le manteau de laine traditionnel qui protège le berger du froid et des attaques d'ours.

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