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Photo du rédacteurMauricette Dupont

Le mouton fantastique

Dernière mise à jour : 3 déc. 2021

Fin novembre, dans le nord de la Hongrie, la brise fraîche termine de balayer les feuilles mortes. Un mardi froid et ensoleillé se prépare dans cette région qui constitue les dernières élévations montagneuses et boisées du massif du Nord, avant la descente vers la vallée du Danube. Dans le village d'Alsópetény, une petite maison blanche surplombe le paysage ondulé, occupé par de drôles de petits moutons noirs. Ce sont des moutons Racka, l’un des animaux extraordinaires de Hongrie ! Il faut dire qu’ici, on s’est donné le mot pour peupler le paysage d’une variété d’animaux fantastiques. Dans les steppes, le bœuf gris de Hongrie orné de deux immenses cornes en forme de lyre. Un peu plus loin, le porc Mangalica arbore une fourrure dorée remarquable. Le mouton Racka, lui, compense sa petite hauteur par deux majestueuses cornes torsadées qui peuvent atteindre jusqu'à un mètre !



Les petits moutons noirs qui paissent à Alsópetény appartiennent à Niki et Ákos, un couple de bergers qui nous ont accueillis sous le soleil Hongrois. Un temps idéal pour goûter leurs rillettes de mouton et leur jus de coing sur la table en pierre devant la maison. Ákos est intarissable sur l’histoire de sa propriété, qui s’est construite de toutes pièces de 1990 à aujourd’hui. A la fin du communisme, le père d’Ákos a acheté les 80 hectares de prairies et de bois qui composent l’exploitation. En 2006, la petite maison blanche est érigée et la bergerie construite en contrebas accueille un petit troupeau de 60 moutons Racka. A partir de cet instant, la ferme participe à la conservation du Racka noir. Aujourd’hui Niki et Ákos élèvent un troupeau de 600 moutons Racka, le deuxième plus grand troupeau de Rackas noirs de Hongrie. Ils se sont installés il y a 4 ans sur la ferme. En Hongrie, rares sont ceux qui vivent de l’élevage de moutons anciens et Niki et Ákos ne font pas exception : s'ils emploient un jeune berger pour les aider sur la ferme, c'est parce que leurs activités respectives de biologiste et traducteur leur assurent une entrée d’argent supplémentaire.


Photo. Un des troupeaux de Racka, accompagné de deux ânes, paît dans la prairie vallonnée à côté de la maison


Elever des Rackas noirs n’est pas une simple affaire ! Le faible effectif de moutons de la race implique une gestion fine de la génétique pour éviter la consanguinité et les dérives par rapport aux standards de la race. Le centre de ressources génétiques aide les éleveurs à la mise en place de croisements judicieux pour la pérennité du troupeau. En contrepartie, on dort avec les brebis à la période des mises bas pour identifier les liens de parenté des agneaux : c’est sûr, on ne peut les reconnaître à leur couleur ! Le petit mouton noir aime les grands espaces et se plaît peu dans les environnements confinés, où les problèmes de peau surgissent facilement. Néanmoins, pour l’instant, le troupeau doit patienter quelques trois mois par an en bâtiment à l’abri de la neige. Pour Ákos, l’objectif à terme est de faire vivre le troupeau toute l’année dehors. De ce fait, la rusticité du troupeau est le principal critère de sélection. Tandis que les Rackas sont au pâturage l’été, le foin est l'unique source d’aliment l’hiver. Une exception est accordée en amont des mises-bas, où les brebis reçoivent quelques céréales.


Photos. Ambiance de fin de journée dans les pâtures d'Alsópetény


Niki et Ákos ont profité de la douceur de la météo pour partager avec nous une balade à la rencontre des petits moutons noirs. A cette époque de l’année, 7 harems constitués d’un bélier et de 45 à 50 brebis sont répartis sur différents paddocks. Deux troupeaux supplémentaires sont constitués pour les Rackas mâles de l'année et les brebis réformées. Tantôt fournis en herbe rase, en herbe haute ou en brousse épaisse, certains paddocks sont même prêtés par les habitants voisins, qui bénéficient d’un entretien naturel de leurs « espaces verts ». Les brebis donnent naissance à un agneau (parfois deux) à la fin du mois de mars. Tandis que les agnelles participent au renouvellement du troupeau, les jeunes mâles sont élevés jusqu’à l’âge de … deux ans ! La croissance du petit mouton est si lente que l’abattage n’a lieu qu’à partir de cet âge : on parle donc d’une viande qui se mérite ! Niki et Ákos ont abattu et vendu leurs premiers moutons il y a un an, auprès d’une clientèle locale et sur Budapest. Pour la plupart des clients, pas besoin de fioriture : l’emballeuse sous vide peut rester au placard, ce que l’on achète, c’est la délicieuse viande du Racka et la rusticité de la ferme que laisse transparaître l’emballage « fait-maison ».


Photos. Les harems de Rackas sont répartis dans des paddocks tantôt broussailleux (entretien des jardins du village), tantôt en herbe


Si l’on devait résumer en un mot la conception de la vie d’éleveurs selon Niki et Ákos, ce serait sans conteste « autonomie » : une conception qui guide le passé, le présent et le futur de leur ferme. Ákos, qui a grandi en Mongolie et fait une partie de ses études là-bas, rêve que sa ferme devienne une « Petite Mongolie », où la vie et l’élevage riment avec liberté, nature et indépendance. « Là-bas, tu élèves tes animaux et à la fin, un gars vient te les acheter. C'est pas plus compliqué que ça. Tu as tout ton temps pour t’occuper pleinement de tes bêtes et de ta propre vie. » raconte Ákos. S’il y a bien une chose que le jeune couple de bergers regrette, c’est la lourdeur administrative qui entoure l’activité d’élevage en Europe : « On souhaite construire notre propre salle d’abattage pour nos moutons mais la réglementation est extrêmement contraignante. Il faut mener une étude, avoir du personnel dédié à l’abattage, … Il faudrait que l’on abatte 2000 moutons par an pour rentabiliser l’investissement. Abattre à la ferme est tellement compliqué sur le plan administratif, alors que c’est la meilleure option pour nos moutons. » explique Ákos. Agrandir le cheptel n’est pas une volonté, d’autant plus que le Racka se plait peu dans les grands troupeaux. Quoi qu’il en soit, il faut plus que des bouts de papiers pour briser l’ambition d’une vie d’éleveur autonome et libre. Ici, on s’en accommode et on poursuit les projets pour la ferme ! A quelques pas de la maison, le Tour Bleu de Hongrie longe les pâtures des moutons : c’est un chemin de grande randonnée qui permet de parcourir le pays. Alors, pour les randonneurs qui s’attardent devant ces étranges et magnifiques créatures aux cornes torsadées, Niki et Ákos souhaitent installer un point d’accueil et d’information pour faire découvrir le mouton noir et leurs savoureux produits.


Un immense merci à eux pour les 8 heures de partage sous le soleil Hongrois et pour l’excellente Pálinka !


Pour plus d'information à propos d'eux, allez visiter leur page Facebook : Rackavölgy




Le saviez-vous ?

- A la fin du collectivisme

A la chute du communisme et la fin du collectivisme au début des années 1990, la Hongrie a rendu le droit de propriété des terres à ses anciens détenteurs d’avant-guerre, sous forme d’un droit à l’achat de terres (d’une valeur équivalente à la surface possédée avant-guerre). Individuellement, ce droit offrait la possibilité de racheter des terres en Hongrie ou d’en obtenir la valeur pécuniaire en revendant son droit. A cette époque, les terres en zones rurales étaient peu attrayantes et leur valeur extrêmement faible (en 1992, 1 hectare de terre valait 10 000 forints, soit 33€ !). Certains hommes d’affaire ont vu là un investissement d’avenir et se sont accaparés les terres en faisant monter les enchères, les rendant inaccessibles aux habitants des petits villages. Le père d’Ákos, qui vivait alors à Budapest, a défendu les droits des habitants d’Alsópetény en combattant ingénieusement le rachat abusif des terres par les plus aisés.

En parallèle, le père d’Ákos racheta les droits de ses frères et sœurs pour acquérir les 80 hectares dont disposent aujourd’hui Niki et Ákos pour leurs petits moutons noirs.


- Noir et blanc

Le Racka fait partie d’une grande famille de moutons d’Europe centrale et d’Europe du Sud, présumés originaires d’Asie, identifiables par leurs cornes enroulées sur l’axe longitudinal. On retrouve dans cette même famille le Valaška, en Slovaquie et le Tsurcana, en Roumanie. Il existe deux types de mouton Racka en Hongrie : le Racka noir et le Racka blanc. A l’issue de la Seconde Guerre Mondiale, il ne restait plus que 600 moutons Racka en Hongrie et ailleurs. Aujourd’hui, on compte 2300 Racka noirs et 6000 Racka blancs en Hongrie.


- Soutien aux races en danger

Des aides de la Hongrie et de l’UE sont accordées aux éleveurs pour protéger la race Racka. Pour une brebis Racka, l’UE verse entre 52 et 54 euros par an (contre 30 euros pour une brebis de race standard). Sans les aides, les éleveurs ne pourraient probablement pas élever cette race.


- Mouton farouche

Malgré ses grandes cornes impressionnantes, la fuite du danger est la principale stratégie pour la survie du petit mouton Racka. Un caractère farouche que les éleveurs entretiennent : « On évite d’habituer les agneaux à l’Homme. Quand ils sont dociles, ils s’éloignent facilement du troupeau pour aller voir ce qui se passe ailleurs et c’est dans ces moments-là qu'ils se mettent en danger vis-à-vis des prédateurs. » explique Niki. Le caractère sauvage du mouton Racka le protège des vols et des attaques de chiens errants, qui sont les deux plus grands dangers dans cette région de Hongrie.


- L’âne et le mouton

Dans le champ qui s’étend devant la maison de Niki et Ákos, une ânesse et son ânon accompagnent le harem de moutons Racka. La cohabitation de l’âne et des moutons est une pratique ancienne et utile : l’âne calme le troupeau de moutons, il est aussi un excellent gardien. L’âne brait et chasse les agresseurs, si bien qu’il est utilisé pour protéger le troupeau des prédateurs, au même titre que le chien.


- Loup : un problème à venir

La Hongrie ne dégage pas d’aides financières pour les dommages causés par le loup sur les troupeaux. Le programme national mise sur la préparation des éleveurs à la présence du loup, par un accompagnement étroit : formations, réunions d’information et d’échanges, fourniture de clôtures électriques font partie des moyens mis à disposition des éleveurs pour se préparer à d’éventuelles attaques.

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