A cheval entre la Haute-Loire et l'Ardèche, en Auvergne-Rhône-Alpes, s'étend le Massif du Mézenc. A plus de 1100 mètres d'altitude, le Massif entoure le Mont Mézenc, qui le domine, à une altitude de 1753 mètres. Vous connaissez certainement davantage le Mont Gerbier de Jonc, son célèbre voisin, d'où jaillit la Loire. Une partie du massif se situe dans le Parc Naturel Régional des Monts d'Ardèche. La région est baignée par un climat atypique. A cette altitude, en hiver tombe la neige, accompagné d'un vent puissant qu'on appelle ici "la Burle". Ce vent paralyse le Massif en poussant la neige sur les routes, qui deviennent alors impraticables. La neige s'infiltre par les moindres ouvertures dans les bâtiments, si bien qu'élever, ici, demande des infrastructures bien spécifiques pour protéger animaux et fourrages de la Burle !
Le positionnement géographique du Massif, son altitude et son vent... Sont à l'origine d'une végétation riche et variée. On y retrouve notamment le Fenouil des Alpes, appelé ici Cistre. Bon. Ok... Mais qu'est ce que tout ça a à voir avec le Fin Gras du Mézenc, nous direz-vous ? La végétation du Massif, c'est ce qui fait la particularité de l'élevage ici. La Cistre est une plante que l'on retrouve généralement dans les massifs montagneux, comme les Alpes. La plante sur pied n'est pas consommée par les vaches au pâturage, alors qu'une fois séchée, mesdames en raffolent. Contrairement aux Alpes, le Massif du Mézenc possède non seulement l'altitude pour le développement de la Cistre, mais aussi de grands plateaux où il est possible de faucher, si bien que la Cistre fait partie du menu d'hiver des ruminants. En clair, les animaux élevés sur le Massif du Mézenc sont les seuls en France et peut-être même au-delà, à consommer un foin d'exception, composé de plantes diverses qui apportent un goût unique et savoureux à la viande !
La Cistre donne un goût anisé au foin du Mézenc
Après avoir abordé le contexte géographique, climatique et botanique de ce massif étonnant, il nous reste encore à vous parler du produit : le fameux Fin Gras ! C'est une viande persillée issue de l'élevage de bovins allaitants sur le Massif. Historiquement, la région était réservée aux éleveurs de moutons, qui y amenaient leurs troupeaux en estive. En parallèle, des bœufs de travail occupaient la zone. Les éleveurs conservaient des bœufs lorsqu'ils étaient trop âgés pour le labour. Ils les engraissaient en bâtiment en hiver avec du foin à volonté. Le meilleur foin leur était réservé pour assurer un engraissement optimal (les animaux ne devaient jamais maigrir) jusqu'à leur abattage pour les fêtes de Pâques. C'était donc une production saisonnière et ça l'est resté. Dans ce territoire, la tradition des bœufs gras à Pâques date au moins du 17ème siècle et la renommée de ce produit typique de ce terroir est reconnue jusqu'à Saint-Etienne, Lyon ou même Marseille à l'époque.
Le Fin Gras du Mézenc a obtenu son AOC en 2006 (puis l'AOP en 2013). Aujourd'hui, peu d'éleveurs engraissent encore des bœufs, la plupart leur préfèrent des génisses, dont le parcours d'élevage est plus facile à gérer (pas de castration et un temps d'engraissement plus court). En 2020, 1222 animaux ont été commercialisés en Fin Gras dont 1201 sont des génisses. L'AOC donne la dénomination de "Fin Gras" aux bœufs d'au moins 30 mois ou aux génisses d'au moins 24 mois de races (pures ou croisées) Salers, Limousine, Aubrac ou Charolaise (races initialement implantées dans la région), élevée sur le Massif du Mézenc. Le cahier des charges impose un élevage au foin et à l'herbe sur le territoire du Mézenc et un engraissement durant le dernier hiver avec du foin naturel de montagne, produit localement: le fameux foin du Mézenc.
Aux abords du Parc Naturel Régional des Monts d'Ardèche, nous avons fait la connaissance de Violaine, éleveuse de génisses Fin Gras du Mézenc. Violaine, c'est une éleveuse passionnée, originaire du massif et dont l'élevage se situe au Béage, en Ardèche. Elle possède 25 mères de race Aubrac, Limousine et Charolaise ainsi que leur suite. Au total, elle élève 70 animaux sur une surface de 85 hectares de prairies, le tout en agriculture biologique. Violaine vend les veaux mâles en broutards à 9-10 mois et engraisse en moyenne 5 génisses pour le Fin Gras chaque année. Ses charges les plus importantes sont les 3 tonnes de céréales qu'elle achète par an et la paille pour la litière des animaux. Tout le reste est pur produit du terroir !
Photo. Violaine attache beaucoup d'importance à la manipulation de ses bêtes, ce qui se ressent à travers la docilité des vaches suitées au pâturage. Violaine possède une stabulation libre pour ses vaches en hiver, là où les bâtiments d'élevage traditionnels sont entravés. La manipulation régulière des animaux est d'autant plus importante chez Violaine que la stabulation libre tend à rendre les bêtes plus "sauvages" à l'homme.
La saison des foins n'était pas terminée lors de notre venue le 8 août, l'année a été exceptionnellement pluvieuse et les fenaisons ont logiquement été décalées. Ici on fauche l'herbe seulement une fois par an et c'est le foin issu de cette fauche qui alimentera les Fin Gras pendant l'hiver. La haute qualité du foin récolté sur le massif est l'élément indispensable à la réussite du Fin Gras. Alors quand il s'agit de faner, les éleveurs n'ont pas le droit à l'erreur ! Si la qualité du foin est bonne, la qualité de la viande de l'an prochain le sera également !
Chaque année Violaine, comme tous les éleveurs de l'AOP, détermine les animaux qu'elle veut faire partir en filière Fin Gras. Elle nous confie qu'en réalité, la sélection des animaux à engraisser commence dès la naissance. Les plus prometteurs sont pressentis très tôt par l'éleveuse (c'est ce qu'on appelle l'œil de l'éleveur!) . Un agent de l'Association Fin Gras est ensuite dépêché pour faire le tour des fermes afin de vérifier si les critères de l'AOP sont respectés et évaluer la qualité "sur pied" des bêtes : développement musculaire, état d'engraissement et présentation générale. Une autre évaluation sera réalisée sur les carcasses à l'abattoir afin de déterminer la qualité de la viande : répartition du gras, couleur du gras externe et tendreté. Autant de critères qui permettront (ou non) à la viande d'être commercialisée sous signe AOP.
Côté rémunération pour les éleveurs, en moyenne le prix de vente des animaux Fin Gras pour l'an dernier était de 5,85 €/kg (prix payé à l'éleveur), il suit une tendance croissante depuis 25 ans. La plupart du temps, le Fin Gras ne représente qu'un tiers des animaux de l'élevage mais 50% du chiffre d'affaire. Les bêtes sont vendues soit à des bouchers (40%) soit à des grossistes (60%) qui prennent le rôle d'intermédiaire entre l'éleveur et le boucher, en choisissant les bêtes selon leur conformation, parfois dès leur première année de vie.
Le travail réalisé par l'association Fin Gras du Mézenc pour protéger l'activité d'élevage via l'obtention de l'AOP a porté ses fruits. Il a permis d'enrayer la disparition des fermes sur le massif (déprise agricole) et même de pérenniser l'élevage, puisque des jeunes s'installent toujours et le nombre d'adhérents ne cessent de croitre. Les ventes aujourd'hui ont toujours majoritairement lieu au moment de Pâques. Le produit est reconnu dans la région et même au delà, puisque même une boucherie d'Ille et Vilaine adhère désormais à l'association et vend du Fin Gras! Avis aux amateurs! ;-) (il s'agit de la maison Favin à St Lunaire)
Le saviez-vous ?
- Dans le Mézenc était la Mézine
A l'origine du Fin Gras, une vache : la Mézine. Cette vache rustique, à la robe froment, était la race historiquement élevée sur le Massif du Mézenc. La Mézine possédait un comportement maternel, une docilité et une viande de qualité. La race était par ailleurs extrêmement adaptée au climat particulier du Massif. Disparue il y a plus de cinquante ans, la Mézine est l'illustration de "l'érosion de la biodiversité agricole en France" causée par l'implantation croissante de races bovines plus productives. Elle a fait l'objet d'un livre, écrit par Albert Roche : La Mézine - Adieu à la race bovine du Mézenc. Source Photo : Albert Roche
- Du fourrage à la viande
Il s'est passé 10 ans entre les premières réunions de l'association du Fin Gras et l'obtention de l'AOP. Ce travail fastidieux, réalisé en partenariat avec l'INRA notamment, a permis de démontrer le lien entre les profils terpéniques du foin du Mézenc et ceux des graisses animales ! Les terpènes sont une famille chimique de composés volatils spécifiques du monde végétal et dont l'origine alimentaire végétale est certaine. Pour faire simple ce sont eux qui donnent aux plantes leurs odeurs et leurs saveurs et que l'on retrouve au final dans la viande des Fin Gras.
- Une Maison pour le Fin Gras
Dans le petit village de Chaudeyrolles, se trouve la Maison du Fin Gras. Alison, membre de l'Association du Fin Gras du Mézenc, tient la Maison du Fin Gras, où elle anime des activités culturelles autour de l'AOP et où elle accueille les visiteurs en quête d'information sur cette spécialité locale. Nous nous y sommes rendus ! Alison nous a d'abord conduit vers le Musée du Fin Gras, où l'on a bénéficié d'une visite guidée sur l'histoire, le foin, l'élevage et la qualité de la viande du Mézenc, en images et en vidéos (si vous passez à proximité de Chaudeyrolles, faites-y un tour !). Après avoir déambulé dans le Musée, nous avons partagé un moment d'échange avec Alison, qui nous a fait découvrir le Fin Gras sous toutes ses coutures, si bien qu'on pourrait écrire un livre rien que pour cette spécialité ! Difficile de faire bref, même si on a tâché d'être précis !
Un bon résumé se trouve dans le document fourni par le musée du Fin Gras : "Le succès du Fin Gras réside dans la volonté de tout un territoire de se valoriser à travers le produit qui exprime en profondeur son identité, son histoire, ses paysages, son économie et ses solidarités. Les éleveurs du Mézenc représentent une véritable communauté."
Pour plus d'informations : http://www.aoc-fin-gras-du-mezenc.com/
- Entraide dans le Massif
Les éleveurs de Fin Gras du Mézenc sont une petite communauté installée sur un grand territoire. A première vue, les fermes paraissent perdues au milieu d'immenses pâturages occupés par les bovins. En réalité, l'entraide et la solidarité animent les éleveurs, souvent coupés du monde en hiver. Pour Violaine, être soudés dans les moments de bonheur et de difficulté est un critère indispensable au bien-être des éleveurs. Aux antipodes de l'individualisme, les éleveurs du Mézenc s'apportent une aide dans les difficultés, physiques ou morales. Ils se rassemblent également à la période de Pâques pour exposer le fruit de leur travail et échanger entre éleveurs lors de grandes foires.
- La tisane de foin
La qualité du foin produit sur le Massif du Mézenc est aussi source de diversification : vous trouverez à la Maison du Fin Gras un sirop de foin à consommer sans modération.
- Toutes les bêtes poilues ne sont pas les bienvenues !
Le massif est peuplé par un grand nombre de rats-taupiers (campagnols) qui détruisent les prairies en mangeant les racines des végétaux. Pour lutter contre les rats-taupiers qui endommagent ses prairies, Violaine a implanté plusieurs linéaires de haies afin d'abriter les rapaces et les hermines qui limiteront leur prolifération. La plantation de haies fait l'objet de soutiens très variés (Yves Rocher, EDF, Ligue de Protection des Oiseaux).
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