Bienvenue dans le Sud Tyrol, au pays du fromage gris ! On l’appelle fromage gris en Français, mais ici, à la frontière avec l’Autriche, on parle de Graukäse. Un fromage bien spécifique de la région et teinté de culture autrichienne (il fait l'objet d'une AOP en Autriche sous le nom de Tiroler Graukäse), confectionné à partir du lait écrémé issu de la fabrication du beurre. Le beurre (non salé, précisons-le pour les Bretons qui nous lisent) est la production historique de la région qui était la plus-value du lait produit dans les montagnes. Les fermes valorisaient le lait écrémé en fabricant un fromage : le Graukäse. Auparavant, on le considérait comme le fromage « des pauvres ». Depuis 2005, le Graukäse est inscrit parmi les produits laitiers traditionnels protégés par le biais de Slow Food et sa reconnaissance dans le patrimoine agricole de l’Italie a permis aux éleveurs de doubler le prix de vente de leur fromage (vendu 4€ le kilo dans les années 2000, le fromage se vend aujourd’hui entre 7 et 12€ le kilo !).
Actuellement, la région possède vingt producteurs de Graukäse. Il n’existe pas de standard pour ce fromage, qui était traditionnellement fabriqué de multiples manières. Aujourd’hui encore, chaque ferme possède sa propre technique pour valoriser le lait écrémé et aucun Graukäse ne se ressemble. Ainsi, on retrouve de nombreux fromages possédant le même nom, mais des goûts différents et surtout, des techniques de production différentes. Certains sont pressés, ce qui conduit à un fromage friable, d’un blanc pur au centre, recouvert d’une croûte jaune qui se développe durant la maturation et l’exposition à l’air. D’autres sont affinés sans être préalablement pressés et ressemblent à un gros gâteau, où se mélangent plusieurs tons, variant du blanc au jaune. Dans tous les cas, le Graukäse contient 2% de matière grasse et 33 à 35% de protéines : un fromage diététique en somme !
Claudia et Roland élèvent ensemble dix vaches de race Simmental, sur la ferme « Moar Hof » à Acereto. Nous sommes partis à leur rencontre avec Martin, un expert en Graukäse ! Martin vend du fromage à l’épicerie du village voisin (Sand in Taufers) et participe à la préservation du Graukäse avec Slow Food. C’est dans une petite ferme bien décorée, à 1300 mètres d’altitude, que nous avons rencontré Claudia. Nous avons sorti notre lexique allemand, car bien que nous soyons en territoire italien, la région parle plus généralement l’autrichien, ou l’allemand !
A Moar Hof, on élève donc dix rouquines, alimentées au foin, à l’ensilage d’herbe et aux céréales. En parallèle, les vaches pâturent sur cinq hectares autour de la ferme et les sorties sont conditionnées par le climat parfois capricieux de la région (neige, pluie). Les deux génisses conservées pour le renouvellement du troupeau pâturent dans la montagne, un peu plus haut.
La "maison" des vaches. Mesdames logent au rez-de-chaussée de cette grande bâtisse typique de la région.
L'une des dix vaches Simmental de la ferme Moar Hof
La ferme vend ses produits dans leur magasin, situé dans la maison d’habitation. Au sous-sol, se trouve la place centrale de la ferme : là où l’on transforme le lait en beurre et en fromage. La confection du beurre et du fromage est rythmée selon un pas de temps de deux jours : un jour on fabrique du beurre, un jour on fabrique du fromage. Tous les deux jours, 400 litres de lait entrent dans le laboratoire et sont centrifugés. Deux phases de distinguent alors : la crème, utilisée pour la fabrication du beurre et le lait écrémé, utilisé pour le fromage.
Le magasin de la ferme Moar Hof
Le beurre issu de la crème sera rincé trois fois, puis estampillé du nom de la ferme à l’aide d’un moule en bois gravé « Moar Hof ». Claudia utilise les herbes de son potager pour assaisonner ses beures : marjolaine, ciboulette ou nature… Tels sont les beurres que l’on peut déguster à la ferme !
De gauche à droite : Photo 1. Moules en bois utilisés pour la confection du beurre; Photo 2. Le potager de Claudia; Photo 3. Plantes aromatiques utilisées notamment pour la fabrication du beurre; Photo 4. Beurre estampillé Moar Hof.
Côté fromage, Claudia fabrique des Graukäse pressés ou non pressés. La coagulation du lait est obtenue spontanément après l’écrémage, par acidification. Après 24 heures de repos, le « fromage » coagulé est porté à 55°C, puis conditionné dans des moules pour laisser le lactosérum s’échapper. Les premiers jours, les fromages sont exposés à l’air dans une pièce ventilée, car ils libèrent une forte odeur d’ammoniac. Ils sont ensuite affinés 2 semaines minimum. Claudia diversifie aussi les produits de la ferme en proposant du beurre clarifié (Butterschmalz) et des confitures.
De gauche à droite: Photo 1. Graukäse frais en cours de séchage (non pressé); Photo 2. Graukäse frais en cours de séchage (pressé); Photo 3. Graukäse non pressé en cours d'affinage (les tons du blanc au jaune apparaissent pendant l'affinage); Photo 4. Graukäse pressé (blanc à l'intérieur et jaune à l'extérieur); Photo 5. Présentation différente du Graukäse.
A Moar Hof, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme… Ou presque !
Dans cette région d’Italie, on a trouvé et préservé un mode de valorisation du lait écrémé issu de la fabrication du beurre. Un recyclage économique et écologique ! Mais à l’issue de la fabrication du fromage, il reste encore le lactosérum. Claudia et Roland veulent aller plus loin, en valorisant le lactosérum, qui aujourd’hui est jeté. A partir de l’année prochaine, ils espèrent élever quelques cochons en extérieur, qui recevront dans leur alimentation le lactosérum de l’atelier de transformation. Alors, la boucle sera bouclée !
Moment d'échange avec Martin (à droite) et Claudia (au centre), autour d'un plateau de fromage accompagné d'une petite bière !
Le saviez-vous ?
- La fête du fromage
Slow Food organise tous les deux ans le Festival International du Fromage à Bra, en Italie. Martin participe à l’organisation de cet évènement. Le festival rassemble les producteurs de fromages traditionnels d’Italie et d’ailleurs dans le monde (on y retrouve le Sir iz Mijeha, notre fameux fromage affiné dans la peau de mouton, que nous avions découvert en Bosnie). Le temps d’un long week-end, le centre historique de Bra accueille de grands stands où s’exposent les fromages inscrits parmi les Presidia Slow Food (groupements de producteurs qui maintiennent un savoir-faire, un mode d’élevage traditionnel, des races autochtones en voie de disparition). Par le biais de ce festival, Slow Food sensibilise au « bien-manger », à la biodiversité des races, à la connexion avec le territoire, au bien-être animal et à l’expertise des femmes et des hommes qui fabriquent ces fromages. Cette année 2021, le Festival International du Fromage se tiendra du 17 au 22 septembre. Un incontournable si vous séjournez en Italie durant cette période.
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