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La vache mouchetée des Vikings

En milieu de matinée, la brume repose encore sur Krokom et ses alentours. On distingue à peine les vaches de Karin et Anders, qui paissent autour de leur vieille ferme typique du Nord de l’Europe. La ferme est dans la famille depuis 200 ans. Anders a repris l’activité il y a 50 ans et s’est orienté en élevage biologique. Karin l’a rejoint plus tard sur l’activité de la ferme, tout en conservant un emploi à l’extérieur. Elle a développé un petit atelier de fabrication de fromages bleus traditionnels de la région.


Dans la pâture, 13 vaches de deux races partagent l’espace, non sans quelques coups de tête qui illustrent une bonne dose de caractère et d’énergie ! La Jersiaise, petite vache fauve aux yeux de biche, a été importée depuis le Danemark en Suède et s’est bien implantée sur le territoire. A ses côtés, une autre petite vache naturellement dépourvue de cornes, originaire des montagnes de Suède, la Fjäll. Son pelage blanc plus ou moins tacheté de noir nous rappelle notre Vosgienne et pour cause, la Fjäll est son ancêtre !


Photo. Jersiaises de Karin et Anders

Photo. Fjäll de Karin et Anders


Ici comme en Norvège, l’élevage s’est adapté aux longs hivers, si bien que le calendrier des vaches se divise en deux périodes de six mois. A partir du mois d’Avril, les vaches parcourent les pâtures riches jusqu’en Octobre, avant les premières neiges. Alors que la neige recouvre les pâtures pendant les 6 autres mois, le troupeau vit à l’attache au chaud dans l’étable en bois. Les vaches ont un accès à l’extérieur tout l’hiver, leur offrant la possibilité de s’ébattre dans la neige… Si elles le souhaitent ! Pendant ces 6 mois blancs, les vaches reçoivent de l’orge produit à la ferme et du concentré, ainsi qu’un foin d’excellente qualité produit à partir de l’herbe riche qui pousse ici au printemps. En effet, le territoire produit une grande quantité d’herbe dense dès lors que la neige fond et que le soleil pointe le bout de son nez. A côté de l’étable, une grande tour en bois est dédiée au séchage et au stockage du foin. La tour, creuse en son centre, envoie de l’air qui parcourt le foin frais pour extraire son humidité.


Photo. Sous la brume, l'étable et sa tour en bois pour le séchage et le stockage du foin


A quelques dizaines de mètres de l’étable, de l’autre côté de la route, trois chèvres barbues nous observent. Elles sont de race Svensk Lantrasget, une race indigène adaptée à la vie dans les pays froids. On en compte aujourd’hui 2'500 individus en Suède. Karin nous explique qu’elle possédait auparavant un troupeau de 15 chèvres, qu’elle trayait à la main. Elle confectionnait le bleu au lait de chèvre affiné en cave, un fromage traditionnel Suédois du comté de Jämtland. Aujourd’hui en fin de carrière, Anders et Karin ont levé le pied. Karin confectionne toujours du bleu au lait de chèvre, mais elle achète désormais le lait pour le fabriquer. Dans son atelier de transformation, elle produit des bleus avec du lait de vache et une petite quantité de bleus avec du lait de chèvre. Elle produit également des tomes de différents formats et de la Feta. Les bleus sont moulés dans des moules en bois traditionnels, puis affinés en cave. Le petit lait issu de la fabrication des bleus est conservé pour produire le « Mese » Suédois, un produit de la même lignée que le Brunöst (fromage brun) Norvégien ! Karin laisse réduire le petit lait pendant 12 heures avant d’obtenir un petit lait caramélisé : le Mese. Il lui faudra 10 Litres de petit lait pour produire un kilo de Mese !


Photos de gauche à droite : 1. Chèvres Svensk Lantrasget de Karin. 2. Moules en bois pour la confection des fromages. 3. Par la fenêtre de la fromagerie, on peut apercevoir les vaches au pâturage.


On descend à la cave où Karin entrepose ses fromages. Traditionnellement, les bleus de la région étaient produits dans des caves creusées sous terre. Avant son arrivée sur la ferme, on ne produisait pas de fromage et il n’y avait donc pas de cave dédiée à la fabrication des bleus. Karin a donc creusé la cave pour ses fromages en sous-sol de la plus vieille habitation de la ferme. En ouvrant la porte, on entre dans la cave comme dans une grotte. La température et l'hydrométrie y sont naturellement propices à la maturation des fromages (ainsi qu'à la vie des araignées, un bon signe !). Plusieurs tailles de fromage sont stockées ici mais surtout plusieurs couleurs ! Le résultat d’une maturation aléatoire, en fonction du climat, de l’emplacement du fromage dans la cave, du lait utilisé… Tant de variables naturellement présentes, qui donnent à chaque fromage un goût unique. Loin des fromages standardisés, ici chaque fromage dégusté mène à une expérience différente. Imaginez que cette diversité se révèle au-delà de la ferme de Karin, puisque chaque cave possède sa propre ambiance, si bien qu’aucune ferme ne produit le même fromage.


Photos. Faire défiler de gauche à droite pour admirer la diversité des fromages présents dans la cave


Chez Karin, l’affinage des fromages dure au minimum deux mois, mais il peut aussi durer bien plus longtemps ! Dans une région où les températures négatives sont aussi fréquentes que les températures positives, la maturation des fromages dans la cave varie au gré des saisons. En plein milieu de l’hiver, les bactéries se mettent au repos et l’affinage se retrouve sur pause. Alors, selon la saison d’affinage, le temps réel de maturation diffère parfois de plusieurs mois pour un degré de maturation équivalent. Vous l’aurez compris, on peut difficilement évaluer un fromage de la cave de Karin par son temps d’affinage ! Le mieux reste encore de le goûter !


Le saviez-vous ?


- Vache Viking !

La Fjäll fut introduite par les armées du Roi de Suède en Allemagne au XVIIème siècle et a donné par croisement la race Vosgienne en France. Mais le rameau Nordique dont provient la Fjäll a amené son sang en France bien avant cela ! La Fjäll est également l’ancêtre supposée de la belle Normande, issue de croisements de races locales Celtes et de la race des Vikings, qui ont conquis la Normandie au IXème siècle !



- Anthropocentrés

Le cahier des charges de l’élevage biologique impose un accès extérieur toute l’année aux vaches. Une réglementation qui assure la prise en compte du bien-être de l’animal en lui garantissant une activité physique. Une réglementation Européenne qui, en contrepartie, manque d’adaptation à la variété de ses territoires d’élevage. En effet, pour les éleveurs installés dans des régions fortement enneigées l’hiver, la sortie obligatoire des animaux est une aberration. Pour Karin : « Sur le papier c’est joli, mais bon nombre de vaches refusent de sortir parce qu’elles sont bien au chaud. C’est par contre une pratique dangereuse pour l’éleveur et ses animaux, qui peut conduire à des accidents. »


- Du foin pour l’hiver

Depuis la ferme, on peut apercevoir plusieurs petites cabanes en bois, dispersées dans les champs. Ces cabanes sont les vestiges de l’époque où les éleveurs y entreposaient leur foin pour l’hiver. Aujourd’hui, elles n’ont plus d’utilité, si ce n’est rappeler à chacun l’histoire agricole de la région.


Photo. Cabanes historiquement utilisées pour le stockage du foin.

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