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Photo du rédacteurMauricette Dupont

L’insolence des agneaux

On est arrivés au début de l’automne chez Nathalie et Philippe, deux bergers origine France, que le destin a mené à Sør Fron, un petit village situé dans la vallée de Gudbrandsdalen. Ils s’y sont installés en 2009, bien que leur vie en Norvège ait débuté plusieurs années plus tôt. Après une première incursion en 1999, Nathalie et Philippe sont revenus en 2003 pour travailler dans le pays en tant que salariés d’élevage, période pendant laquelle ils se sont aguerris à la tonte des moutons. Depuis 2012, ils sont propriétaires de leur bergerie à 650 mètres d’altitude, dans laquelle ils élèvent 65 brebis de race Norsk Kvit Sau et une vingtaine de brebis de race Norsk Pelssau (deux races de brebis locales élevées pour la viande et la laine). Nathalie et Philippe possèdent 19 hectares de terres, dont seulement 6 hectares labourables et la moitié de la surface est inexploitable, y compris pour le pâturage. Ils louent quelques hectares de pâture supplémentaires à proximité de la ferme.


Photo. Pâturages d'altitude de Nathalie et Philippe


L’élevage de moutons dans la région est 100% transhumant : une adaptation au climat hostile de l’hiver et au territoire montagneux et boisé de la Norvège. Les brebis sont élevées dans et autour de la bergerie pendant 7 longs mois de l’année, durant lesquels elles s’alimentent des fourrages récoltés au printemps (foin et enrubannage). Les agnelages se déroulent en mars/avril, peu de temps avant la transhumance à la fin du mois de mai. A partir de là, plus de barrières ! Les brebis et leurs agneaux partent en estive sur le plateau, à 900 mètres d’altitude, où elles s’ébattront jusqu’à fin septembre en totale autonomie, exploiter les ressources alimentaires disponibles entre bois et broussaille. On vous avoue un truc… Toutes les brebis n’y participent pas : les Pelssau, dont le caractère se rapproche de celui de la chèvre, auront à elles seules les pâtures clôturées d’altitude. Pas de totale liberté pour ces dames, sous peine de les retrouver quelques jours plus tard chez les voisins dans la vallée, en quête de friandises ou caresses !


Photo. Tandis que les brebis NKS vaquent à leurs occupations, les brebis Pelssau apprécient la proximité avec Nathalie


Photo. Brebis Norsk Kvit Sau


Pour les autres, les Norsk Kvit Sau, c’est la grande odyssée. Les grands espaces reculés d’altitude ne permettent qu’un contrôle approximatif du troupeau. Pour certaines brebis que les éleveurs savent intrépides, on ajoute au collier un boitier GPS pour les localiser la fin de l’été venue. L’association des éleveurs de la région emploie également un berger en charge de tournées dans la montagne, afin d’identifier malades et morts. Pascale était la surveillante des moutons cet été. Elle a parcouru toute la saison de longs kilomètres à pied en montagne pour veiller sur les moutons, les vaches et les chèvres qui arpentent la zone tout l’été. Pascale est un maillon indispensable pour les éleveurs, dont la conduite estivale du troupeau s’intègre dans un environnement naturel riche en prédateurs : glouton, loup, ours, lynx, aigle… Chacun d’entre eux possède sa stratégie de chasse mais tous ont un point commun : lorsqu’ils ont faim, ils raffolent des moutons d’estive.


Photo. Pascale, ange-gardien des animaux d'estive


A l’automne, ici, c’est le « sanking » : une étape importante pour les bergers, qui redescendent leurs moutons de la montagne pour démarrer « l’hivernage » ! Dès lors, Nathalie et Philippe rassemblent leurs moutons pour les conduire à la bergerie. Une étape qui ne se fait pas en un jour ! Au cours du mois de septembre, les bergers de la région sont en ébullition. Il faudra plusieurs allers-retours dans la montagne pour retrouver tout le monde.

« Alors, on en a combien ?

- 48

- Il nous en manque 17 alors

- Non, il y a les 6 qu’on nous a parqué à quelques kilomètres

- Alors 11… Mais où sont-elles ? »

Le téléphone sonne. Nathalie décroche. Une conversation enjouée en Norvégien débute. On n’y comprend rien, mais ça a l’air d’être une bonne nouvelle.

« Ils ont retrouvé la 5033 avec son agneau, on n’a plus qu’à aller la chercher ! »


Photo. Kima, la chienne de troupeau de Nathalie et Philippe


En résumé, le sanking, c’est un grand évènement pour les bergers de la région, durant laquelle tout le monde se croise, 4x4 et remorques vides ou pleines, on discute de ce qu’on a vu ou de ce qu’on a fait. Une cohésion de groupe s’installe le temps de l’automne, où l’entraide est de mise pour rassembler tous les animaux en vadrouille avant que la saison de chasse à l’élan ne démarre. Nous sommes restés une semaine chez Nathalie et Philippe. Le sanking avait démarré avant notre arrivée et nous avons quitté la ferme alors que l’ensemble du troupeau n’était pas encore totalement rassemblé. L’opération durera jusqu’au début du mois d’octobre ! Le pâturage se poursuivra autour de la ferme jusqu'à l'arrivée de la neige, fin octobre.


Photo. Les agneaux sont triés, comptés et transportés à la bergerie.


A l’arrivée à la bergerie, de beaux agneaux bien en chair doivent quitter leur mère. Un tri s’impose, afin d’identifier les agneaux qui partiront en premier à l’abattoir, les agneaux un peu légers qui profiteront quelques jours supplémentaires des pâtures vertes autour de la bergerie, puis les quelques agneaux beaucoup trop légers, qui finiront leur croissance avec du foin et du concentré dans la bergerie.


Les agneaux sont tondus à leur retour à la bergerie, tout comme les brebis, qui ont eu une première tonte avant l’estive. La laine des brebis et des agneaux Norsk Kvit Sau est blanche et bien valorisée en Norvège. En moyenne, la laine est vendue 5 euros le kilo. Mais pour une bonne valorisation, il faut un tri impeccable de la laine car la présence de laine souillée par les déjections ou le foin peut fortement dévaluer la laine vendue par les bergers. Nathalie et Philippe sont des experts dans le domaine. Philippe danse autour du mouton pour lui retirer son manteau, tandis que Nathalie à genoux, ramasse et trie la laine à toute vitesse, avant qu’elle ne se mélange aux prochaines chutes.


Photo. Philippe tond un agneau avant le départ à l'abattoir


Exception faite (encore !) des Pelssau, dont la parure grise est peu intéressante pour valoriser la laine car elle ne peut être teinte. En Norvège cependant, on affectionne autant la laine que la production traditionnelle de peaux en tous genres, que les locaux apprécient pour leur chaleur et leur aspect décoratif. Des moutons Pelssau (dont la traduction littérale signifie « Peau de mouton »), on valorise donc la peau, qui sera tannée puis commercialisée. Les bouclettes grises des Pelssau font fureur et bon nombre de Norvégiens offrent une peau pour les évènements majeurs, comme les naissances. Nathalie récupère une partie des peaux qu’elle vend elle-même, souvent ornementée d’inscriptions ou de dessins, ou dans les compositions (coussins, patchworks…).


Photo. Laine bouclée des Pelssau


Le métier de berger ne s’improvise pas et encore moins lorsqu’il n’est pas possible d’avoir un œil permanent sur son troupeau en estive. L’élevage de races locales adaptées au territoire s’est donc très bien maintenu ici : on ne peut se permettre d’élever des animaux fragiles si l’on ne peut les surveiller 24h/24. Nathalie et Philippe portent beaucoup d’importance à la sélection de leurs brebis et l’œil de l’éleveur vaut mieux que tout calcul de performance : chez eux, lors du choix des agnelles pour le renouvellement du troupeau, on recherche une production de deux agneaux maximum par portée, une production laitière riche et qui dure tout l’été et on exclut les agnelles qui ont des trayons supplémentaires. Ainsi, ils s’assurent que les brebis pourront nourrir la totalité de leur progéniture tout l’été. Ils déplorent tous deux que les organismes de sélection génétique des races soient de plus en plus orientés sur la production « de kilos de viande par brebis ». Selon eux, une aberration qui conduit à des portées de 3 voire 4 agneaux par brebis, qu’elles ne pourront pas tous nourrir. En effet, lors d’une portée de plus de 2 agneaux, les agneaux supplémentaires seront soit adoptés, soit nourris tout l’été en bâtiment.


Etre berger, c'est aussi faire des choix stratégiques (non dénués d'un peu de sentiments) pour le bien-être et la bonne gestion du troupeau. Chez Nathalie et Philippe, une vieille brebis au menton carré répondant au doux nom de Shawn (ou Shawny) navigue au milieu du troupeau. Shawn ne produit plus d'agneaux. Elle est en quelque sorte la retraitée du groupe. En temps normal, les brebis réformées quittent le troupeau pour l'abattoir. Mais Shawn, c'est une leader. Elle est à la tête du troupeau et maintient un bon groupe de brebis autour d'elle, ce qui facilite le travail lorsqu'il faut retrouver tout le monde lors du sanking. Alors on lui pardonne tout: sa vieillesse, son sale caractère et sa détermination, chaque année, pour rendre la tonte infernale ! Ah, sacrée Shawny !


Photo. Shawn, la leader du troupeau de Nathalie et Philippe


L'instant Norvégien


- De quelle couleur est la boucle ?

Pour reconnaître leurs brebis lors du sanking, les bergers utilisent des boucles de couleur. Chaque berger possède son propre code couleur, ce qui lui assure de retrouver ses bêtes parmi les milliers de moutons qui occupent la montagne ! En parallèle, des cravates de couleur sont utilisées pour identifier les brebis ayant un ou deux agneaux, afin de n'oublier personne en cours de route.

Photo. Les brebis de Nathalie et Philippe possèdent des boucles rouges et vertes. Ils ajoutent à toutes leurs brebis des cravates violettes, qui complètent le code couleur des boucles. Des cravates rouges sont ajoutées aux mères de deux agneaux. Sans oublier l'indispensable cloche pour le repérage !


- Tonte express !

Durant notre séjour chez Nathalie et Philippe, nous nous sommes essayés à la tonte des moutons. On a commencé tranquillement... Avec les agneaux de moins de 40 kilos. Bon... Deux heures pour six agneaux, c'est pas mal ! Ca fait 20 minutes par agneau. Vous en pensez quoi ? En moyenne, un tondeur professionnel tond un mouton en trois minutes... Je crois qu'on va devoir progresser ! Il existe des championnats de tonte sportive pour les tondeurs les plus rapides, qui peuvent tondre 50 à 100 moutons par heure... pendant 8 heures !


- Le Dôme du Berger

Nathalie est Philippe ont construit un dôme pour accueillir des visiteurs à la ferme. Ils proposent également le service de repas à la Norvégienne à leurs invités. Un concept sur lequel ils n'ont encore que peu de recul, compte-tenu de la situation sanitaire actuelle qui a limité le tourisme en Norvège. Néanmoins, la construction de deux autres dômes est déjà planifiée ! On a testé pour vous, et on recommande !!!


- La French attitude

Nathalie et Philippe sont français... Mais Pascale aussi ! Après quelques expériences dans les pays du Nord de l'Europe, Pascale a posé ses valises en Norvège pour créer son entreprise de voyages personnalisés. Le destin a voulu que le Coronavirus chamboule ses plans ! En attendant la reprise du tourisme, Pascale s'est portée volontaire pour surveiller les troupeaux en altitude durant tout l'été. Maintenant que les affaires reprennent pour elle, nous vous invitons à visiter son site : https://wondernorway.com/


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