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Photo du rédacteurMauricette Dupont

🐑 Funny frozen sheeps 🐑

Au Sud-Ouest de la Serbie, perchĂ© Ă  plus de 1 000 mĂštres d’altitude, s’étend le plateau de PeĆĄter (PeĆĄtersko polje). D’une superficie de 5 000 hectares (dont 3 400 hectares classĂ©s en rĂ©serve naturelle depuis 2006), il constitue le plus grand plateau de Serbie et l’un des plus Ă©levĂ©s des Balkans. Il est aussi le lieu de Serbie oĂč l’on recense les plus faibles tempĂ©ratures en hiver, ce qui lui vaut le surnom de « SibĂ©rie des Balkans » (la tempĂ©rature la plus basse Ă©tait de -39,5°C en janvier 1985).



Le plateau de PeĆĄter abrite un grand nombre de vaches et moutons parfaitement adaptĂ©s Ă  son climat rude (neige, vent, amplitude thermique importante au cours de l’annĂ©e). La Simmental reprĂ©sente fiĂšrement et Ă  majoritĂ© les bovins du plateau, tandis que chez les moutons, c’est le mouton de Sjenica qui peuple les prairies.




Ce petit mouton Ă  tĂȘte blanche dĂ©corĂ©e de lunettes, de deux oreilles et d’un museau noirs, est Ă©galement dotĂ© d’une trĂšs bonne rĂ©sistance aux Ă©lĂ©ments. C’est le seul mouton capable de vivre dans ces conditions climatiques. A notre arrivĂ©e en Serbie, nous avons rencontrĂ© Miki, membre de l’organisation non-gouvernementale IDC*, qui nous a contĂ© son histoire Ă  propos du mouton de Sjenica : « Lorsque je suis arrivĂ© en hiver sur le plateau enneigĂ©, j’ai rencontrĂ© un Ă©leveur et je lui ai demandĂ© oĂč Ă©taient ses moutons. Il m’a rĂ©pondu avec un signe du bras : ‘’Juste ici’’. J’ai froncĂ© les sourcils et levĂ© la tĂȘte vers le haut de la montagne, pour apercevoir les moutons, dont on ne distinguait plus les pattes enfouies dans la neige ! Seuls leur dos laineux et leur tĂȘte dĂ©passaient du manteau neigeux ».





Sur ce plateau du Sud-Ouest de la Serbie, nous sommes allĂ©s Ă  la rencontre de Redjep et Sabin, qui Ă©lĂšvent 160 moutons de Sjenica et 20 vaches Simmental dans une petite ferme de 30 hectares. Sur la ferme, toute la famille travaille : Redjep, Sabin, son mari Ć erif et leurs quatre enfants dont le plus jeune ĂągĂ© de 10 ans, Jena. Chaque jour, Jena prend son bĂąton de marche et garde le troupeau de moutons au pĂąturage. Le lait des brebis et des vaches est trait Ă  la main deux fois par jour et vendu Ă  la laiterie de Tutin. La vente du lait Ă  la laiterie est une pratique courante dans la rĂ©gion, oĂč peu d’éleveurs produisent leur propre fromage. En Serbie, la vente du lait Ă  la laiterie est une aubaine pour les Ă©leveurs, car elle leur assure un paiement en temps et en heure. La vente des produits de l’élevage Ă  un rĂ©seau de distribution n’est pourtant pas une pratique rĂ©pandue dans le pays**. Sur le plateau de PeĆĄter, le prix d’achat du litre de lait est le plus faible de la rĂ©gion, justifiĂ© par un rĂ©seau routier de mauvaise qualitĂ© pour accĂ©der aux exploitations.





L’Etat possĂšde la majoritĂ© des terres de la rĂ©serve***. Les Ă©leveurs implantĂ©s dans la rĂ©serve utilisent ces terres pour y laisser pĂąturer vaches et moutons. En contrepartie, ils ont pour mission de protĂ©ger la faune, en particulier les oiseaux. Sur le plateau, l’élevage fait partie intĂ©grante d’une chaĂźne alimentaire incluant l’Homme, mais aussi la faune locale. Moutons et vaches valorisent les Ă©tendues d’herbes et de plantes en apportant Ă  l’Homme fromage et viande, mais nourrissent Ă©galement vautours et loups de la rĂ©gion. Dans le contrat signĂ© entre la faune du plateau et l’éleveur, ce dernier a pris l’engagement de laisser une part de ses ressources alimentaires aux autres maillons de la chaĂźne. Ainsi, lorsque la mort touche les animaux de la ferme, on fait appel aux Ă©quarisseurs naturels. Les Ă©leveurs Ă©tablissent des zones de nourrissage pour loups et vautours Ă  l’écart de leur troupeau, afin de conserver une entente cordiale entre les deux partis.


Lorsque l’on interroge Redjep et Sabin sur les points positifs et les points nĂ©gatifs de leur Ă©levage, ils se regardent longuement avant de rĂ©pondre. C’est une question qu’on ne se pose pas ici. La ferme, ils l’ont acquise par leurs parents, eux-mĂȘmes ayant repris l’activitĂ© de leurs parents. C’est une activitĂ© qui se transmet de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration et « c’est comme ça ». Leur activitĂ© d’élevage est un mode de vie ancestral auquel il n’existe pas vraiment d’alternative. Jena, le plus jeune de leurs fils, est dĂ©jĂ  aguerri Ă  l’élevage des moutons. Il garde le troupeau, participe Ă  la traite
 En somme, Ă  dix ans, son avenir est tout tracĂ© : il poursuivra l’élevage de ses parents, de ses grands-parents, de ses arriĂšre-grands-parents et transmettra lui-mĂȘme la ferme Ă  ses enfants. En espĂ©rant que le prix du lait reste suffisant Ă  l'avenir pour permettre Ă  la famille entiĂšre de vivre ?


* IDC : Association of Citizens Initiative for Development and Cooperation. IDC est une organisation Ă  but non-lucratif dĂ©diĂ©e Ă  l’intĂ©gration sociale et Ă©conomique des catĂ©gories sociales dĂ©favorisĂ©es et vulnĂ©rables. L’association IDC intĂšgre des missions d’aide aux agriculteurs serbes, en particulier aux petits producteurs de fruits et lĂ©gumes (structuration de la filiĂšre, aide Ă  la nĂ©gociation/vente des produits, aides ponctuelles lors des alĂ©as climatiques). Pour plus d’informations : https://idcserbia.org

** L’activitĂ© agricole Serbe se divise en deux grandes catĂ©gories de structures. Des grandes fermes d’Etat et des petites fermes familiales. Les premiĂšres bĂ©nĂ©ficient d’un rĂ©seau de distribution organisĂ© et d’une vente des produits agricoles dans les supermarchĂ©s. Les petites fermes familiales, quant Ă  elles, vendent gĂ©nĂ©ralement leurs produits au dĂ©tail Ă  la ferme car leur fonctionnement n’est pas adaptĂ© Ă  un rĂ©seau de distribution impliquant une rĂ©glementation des pratiques et un approvisionnement rĂ©gulier. En Serbie, vendre ses produits au dĂ©tail est associĂ© Ă  une incertitude quant Ă  la rĂ©munĂ©ration, car il est courant que les acheteurs ne paient pas assez ou pas Ă  temps.

*** En Serbie, 75% des terres agricoles sont dĂ©tenues par l’Etat ou par des grandes fermes privĂ©es au service de l’Etat (VoĂŻvodine = rĂ©gion Nord/Nord-Ouest de la Serbie). Tandis que les petites fermes familiales constituent 75% de l’effectif des exploitations agricoles Serbes, elles ne possĂšdent en dĂ©finitive que 25% de la surface agricole du pays. A l’issue de la seconde guerre mondiale, la mise en place de la collectivisation n’a laissĂ© aux familles qu’un maximum de 10 hectares de terres en propriĂ©tĂ©. Aujourd’hui, certaines familles rĂ©cupĂšrent les hectares perdus par hĂ©ritage ou par achat de terres. Mais l’achat de terres agricoles est un processus long et difficile, souvent inaccessible aux petits exploitants et peu de fermes familiales en bĂ©nĂ©ficient.

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