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Photo du rédacteurMauricette Dupont

Euskadi du Nord, tête de cochon et pied de mouton

C’est en Pyrénées-Atlantiques que l’on réalise cette nouvelle étape. Enfin, pas seulement ! Pour être plus précis, nous nous sommes arrêtés en Pays Basque. Bien plus qu’un pays composé de quatre provinces en Espagne (Navarre, Alava, Guipuzcoa, Bizcaye) et trois provinces en France (Labourd, Basse-Navarre et Soule), le Pays Basque c’est avant tout une identité ! On y parle l’Euskara, on y joue à la pelote, on y aime beaucoup la fête… Et ici, on porte une grande importance aux traditions. C’est donc naturellement que le savoir-faire agricole traditionnel est resté implanté ici : Piment d’Espelette, vins d’Irouléguy, fromage de brebis Ossau-Iraty, viande de porc Basque Kintoa, voilà les quatre grandes spécialités de la région aujourd’hui protégées d’une AOP en Pays Basque. Comme on vous parle toujours d’élevage, nous vous présenterons ici les deux dernières !




Notre itinéraire nous conduit à Bunus, un petit village en Basse-Navarre, où se trouve la ferme de Sébastien Astabie. Sébastien vit avec sa femme Christelle, ses enfants et ses parents sur l’exploitation familiale : la Maison Aozteia. Sébastien et Christelle élèvent ensemble 300 brebis de race Manech Tête Noire pour la production d’Ossau-Iraty sur 23 hectares de prairies et une quarantaine de porcs Basques Kintoa sur quelques hectares de bois aux essences variées (châtaigniers, chênes, hêtres). Sébastien fait partie des 1300 éleveurs d’Ossau-Iraty AOP et des 200 éleveurs qui vendent leur produit directement au consommateur, sans intermédiaire.



Arborant deux grandes cornes enroulées sur sa tête sombre, la Manech tête noire est une race ovine historique du Pays Basque. La Manech tête noire est une petite brebis endurante, qui valorise les terrains escarpés des Pyrénées, à fort dénivelé, où l'herbe est rugueuse et les ressources naturelles de faible qualité nutritionnelle. Elle constitue la race d’excellence pour viser l’autonomie fourragère dans les élevages du Pays Basque, où elle s’alimente du foin des vallées en hiver et des herbes et plantes poussant sur les flancs de montagne en été. Elle est la race idéale pour la pratique de la transhumance. La Manech tête noire est l’une des trois races locales de brebis utilisées pour la fabrication de l’Ossau-Iraty (avec la Manech tête rousse et la Basco-Béarnaise). L'effectif de Manech tête noire dans les Pyrénées est en constante diminution, car on lui préfère la Manech tête rousse et la Basco-Béarnaise, plus productives en lait.


Manech tête noire


Chez Sébastien, les brebis agnèlent durant les mois de novembre et décembre et produisent du lait pour la fabrication de l’Ossau-Iraty jusqu’en mai. A partir de là, elles montent à 500 mètres d'altitude arpenter les pentes abruptes semi-montagneuses pour l’été. C’est d'ailleurs à l’été que le travail de berger prend tout son sens : il guide le troupeau pour valoriser au mieux les ressources naturelles disponibles. Sébastien explique : « Les brebis ont tendance à rester en montagne, où la flore est peu nutritive ». Elles sont donc guidées matin et soir par le berger depuis les espaces en altitude vers la vallée, où elles rechargent en carburant vert de bonne qualité, avant de repartir à nouveau à la conquête des zones ardues de la montagne. Sébastien emploie une bergère l’été pour s’occuper du troupeau en montagne.


Agnelles de l'année au pâturage à proximité de la ferme


A la ferme, les agneaux sont vendus en agneau de lait à 1 mois, majoritairement en Espagne, où leur viande est prisée. Les trois quarts du lait produit par les brebis sont transformés à la ferme en fromage Ossau-Iraty. Le fromage sera affiné pendant minimum trois mois. Le quart de lait restant est vendu à la laiterie. Chez Sébastien, les fromages sont marqués sur le dessus d’une tête de brebis de face : le signe d’une production fermière réalisée par l’éleveur, à partir du lait de ses brebis.


Ossau-Iraty marqué d'une tête de mouton de face


Salle d'affinage



Lui aussi a la tête noire, mais également deux grandes oreilles qui lui tombent sur les yeux ! Le Porc Basque Kintoa, issue de la grande lignée des Porcs Ibériques, est également une race historiquement élevée en Pays Basque. Il provient d’une vieille tradition du XIIIème siècle, époque à laquelle le roi de Navarre prélevait la Quinta, un impôt pour les éleveurs de porcs qui transhumaient avec leurs animaux dans la montagne, dans la vallée des Aldudes. La Quinta, c’était le prélèvement d’un porc sur cinq pour le Roi. Menacée d’extinction en 1981, la race est aujourd’hui synonyme d’une viande et d’un jambon de qualité, ce dernier étant vendu entre 50 et 70€ du kilo. La détermination de quelques éleveurs et l’AOC obtenue en 2016 a permis de reconstruire le cheptel de Porcs Basques Kintoa, qui avoisinait les trente têtes dans les années 1990…


Porcs Basques Kintoa


Sébastien possède un petit élevage de Porcs Basques depuis 2007, pour valoriser le petit lait issu de la fabrication des Ossau-Iraty. Sébastien, comme l’ensemble des éleveurs de Porcs Basques Kintoa AOP, élève ses porcs sur des parcours vallonnés, constitués d’herbe et de bois. Les porcs s’alimentent d’herbe, de vers, de glands et reçoivent en parallèle des céréales, majoritairement (70%) issues de la zone de production. Les céréales ne sont pas proposées aux cochons toute l’année. En automne, lorsque les fruits tombent des arbres, les porcs s’en nourrissent exclusivement. Chez Sébastien, la réduction des quantités de céréales apportées aux cochons se fait à l’œil : « De toute façon, si tu leur apportes des céréales alors qu’ils ont ce qu’il faut sous les arbres, ils n’y toucheront pas ». Sébastien achète ses porcs sevrés entre 2 et 3 mois d’âge et les élève jusqu’à un an minimum (en moyenne 14 mois). Les cochons dodus pèsent alors 180 kilos !


Photos 1 et 2. Repos bien mérité pour les Porcs Basques de Sébastien

Photos 3 et 4. Terrain de jeu - de rêve - des cochons.


La viande des Porcs Basques de Sébastien est transformée en charcuterie et conserves dans l'atelier de découpe Xuhito, à Anhaux. Xuhito, c'est un atelier un peu particulier ! En 2012, le boucher du village part à la retraite. Une vingtaine d'éleveurs rachète alors son atelier et se forme à la transformation bouchère. Ils y reconstruisent un laboratoire de transformation en CUMA et embauchent un salarié responsable du laboratoire en 2019. Aujourd'hui, l'atelier compte une trentaine d'éleveurs.


A la Maison Aozteia, les produits sont vendus au magasin de la ferme, mais également dans les salons ou par le biais de quelques enseignes spécialisées dans la vente de produits de qualité, comme le site Internet Pour de Bon (www.pourdebon.com). La vente par Internet représente une alternative intéressante aux moyens de vente habituels, puisqu’elle permet d'élargir la clientèle sur un rayon autour de la ferme beaucoup plus important. Sébastien propose également ses brebis à l’adoption via le site Crowdfarming. Comment ça marche ? Lorsqu’une brebis est adoptée, la ferme envoie une partie de sa production en fromage à son adoptant. Un mode de vente qui a nécessité quelques ajustements techniques pour gérer l’approvisionnement à la ferme, victime de son succès !


Au magasin, Sébastien propose à la vente son Ossau-Iraty et une diversité de charcuteries et conserves réalisées à partir du Porc Basque. On retiendra le jambon et le saucisson sec, tous deux exceptionnels !


Magasin à la ferme



Le saviez-vous ?


- Pays identitaire, fromage identitaire !

L’Ossau-Iraty se divise en trois grandes catégories, identifiables par le marquage du fromage : le fromage issu de fromagerie, symbolisé par une tête de brebis de profil, le fromage produit à la ferme, symbolisé par une tête de brebis de face et le fromage fermier produit en estive, symbolisé par une tête de brebis de face et un edelweiss sur la montagne. Cette catégorisation des fromages Ossau-Iraty illustre bien la valeur portée aux traditions et surtout à l’identité et la qualité de chaque produit. Sébastien nous a fait ressentir le poids que représente le collectif d’éleveurs en Pays-Basque sur un système qui tend à standardiser les produits et à augmenter constamment la productivité des élevages. Ici, les décisions prises autour des AOP sont le fruit des éleveurs et ils tiennent à ce que cela le reste. Sébastien nous explique qu’ici, l’industrie n’a pas un grand poids dans les décisions : « même les grosses laiteries, c’est du 1 pour 1, elles n’ont pas le dernier mot face aux éleveurs du pays ». Les trois symboles qui caractérisent les trois catégories d’Ossau-Iraty en sont bien la preuve. Lorsque les fromageries ont dû établir un symbole pour leur catégorie, les producteurs fermiers ont bataillé pour que le symbole se distingue clairement du fromage fermier : non à la tête de brebis de face pour les laiteries !

De gauche à droite : Ossau-Iraty issu de laiterie, Ossau-Iraty fermier, Ossau-Iraty fermier d'estive. Image extraite du site dédié à l'AOP Ossau-Iraty / ossau-iraty.fr


- Production versus adaptation ?

La demande croissante en lait en Pays-Basque a poussé les éleveurs de la région à remplacer la Manech tête noire par la Manech tête rousse et la Basco-Béarnaise, qui présentent une production laitière supérieure. La diminution du nombre d'éleveurs de Manech tête noire a également diminué la capacité d'une action collective pour la protection de la race. Une association, Buru Beltza (tête noire en Basque), s'implique afin de dessiner un avenir pour la race. L'association regroupe les éleveurs de Manech tête noire autour d'un projet pour la race : orienter la sélection pour concilier aptitudes à la transhumance et production laitière. Aussi louable soit l'initiative, celle-ci ne fait pas l'unanimité parmi les éleveurs de Manech tête noire. Sébastien a quitté l'association et le schéma de sélection il y a peu, car il déplore une sélection orientée sur la production laitière au détriment de la rusticité de la race. Alors, la Manech tête noire doit-elle entamer une remise à niveau pour s'adapter à un marché axé sur la quantité, quitte à perdre peu à peu sa capacité d'adaptation à la montagne ? Nous, on a notre avis sur la question. Rappelons que quantité et qualité sont deux objectifs bien différents.

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