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Photo du rédacteurMauricette Dupont

Entre montagnes et vallées

La Norvège est le pays de prédilection pour les amateurs de nature et de randonnée. Entre montagnes et fjords, paysages multicolores pendant trois saisons et bichromatiques en hiver, il faut reconnaître qu’on en prend plein la vue toute l’année ici ! Et l’élevage dans tout ça ? En parcourant les territoires sauvages de la Norvège en été, on peut entendre le son des cloches et des bêlements qui accompagnent le souffle du vent et le calme de la nature.



En Norvège, on comptabilise seulement 3% de terres arables, tandis que s’imposent forêts, landes et zones humides sur la majorité du territoire. Ainsi, l’élevage s’est installé ici en composant avec les ressources naturelles existantes et la neige, qui recouvre le territoire pendant six longs mois de l’année. Depuis « la nuit des temps », en Norvège, on pratique la transhumance. Après un long hiver à l’abri du froid et de la neige, les animaux sont conduits en altitude, loin des fermes, pour valoriser les espaces non cultivables. Historiquement, les éleveurs s’exilaient de Juin à Septembre dans les fermes d’été, appelées « seter », où ils y fabriquaient beurre et fromage.


Tor, l’éleveur des montagnes


Tor et ses parents, Bersvein et Else Marit, maintiennent le mode d’élevage traditionnel Norvégien. Ils élèvent ensemble trente vaches laitières de race Rouge Norvégienne, soixante moutons de race Spaelsau et trente chèvres. A la ferme, 27 hectares de prairies sont dédiés à la pâture et à la fauche de l’herbe pour la production de foin et d’enrubannage. Les vêlages se déroulent en fin d’année et le lait des Rouges Norvégiennes est collecté au robot. Chez les moutons et les chèvres, les agneaux et chevreaux naissent au printemps, juste avant la transhumance ! En juin/juillet, les trois troupeaux rejoignent Eldåseter, la ferme d’été, située à 26 kilomètres du site principal, à 950 mètres d’altitude. Ici perdure la traite des vaches (non robotisée celle-là), qui avait débuté dans la vallée. Les vaches pâturent à proximité du seter, tandis que les moutons et les chèvres naviguent librement autour de leur maison estivale, où ils s’alimentent des herbes et plantes d’altitude. Tout ce petit monde redescendra dans la vallée en octobre. Le réseau électrique n’arrive pas jusqu’à Eldåseter. C’est la prise de force du tracteur qui alimente la machine à traire.


De gauche à droite : Photo 1. Maison et étable de la ferme d'été Eldåseter. Photo 2. Les moutons Spaelsau sont rentrés de l'estive et pâturent autour d'Eldåseter. Photo 3. Etable d'été pour les Rouges Norvégiennes. Photo 4. Chaque vache possède un nom, inscrit au dessus de sa place dans l'étable. Photo 5. Griffes mobiles pour la traite des vaches en estive. Photo 6. Chevreau de l'année.


Lorsqu’on rejoint Eldåseter, on admire d’abord une maison d’apparence rudimentaire, dont le toit traditionnel Norvégien est recouvert d’une végétation épaisse et variée. Puis, en entrant dans cette petite maison de bois, nos yeux s’émerveillent du goût prononcé des Norvégiens pour les intérieurs chaleureux et décorés avec soin. Le feu dans la cheminée, les sièges et les tables en bois nous plongent dans l’ambiance du seter, la ferme d’été. On retrouve ici les vestiges des productions historiques de la ferme, tels les moules qui servaient à la fabrication du fromage brun, ou la baratte en bois pour la fabrication du beurre. Aujourd’hui, à Eldåseter, on ne fabrique plus de beurre ni de fromage. Moules et baratte servent désormais à la décoration de la maison.


Photo. Moules anciennement utilisés pour la fabrication du fromage, notamment le Brunost (fromage brun)


A présent, le lait des belles Rouges Norvégiennes de Tor est collecté par une coopérative, trois fois par semaine. La coopérative TINE est la seule et unique coopérative de Norvège qui assure la collecte du lait dans la quasi-totalité des élevages Norvégiens (N.B. : la vente directe est une activité peu répandue en Norvège). Le lait produit dans les seters est moins accessible pour les laiteries que le lait produit en vallée. Néanmoins, TINE rémunère l’ensemble de ses éleveurs sur la même grille tarifaire, quelle que soit la localisation du lait à collecter. En moyenne, le lait est vendu 55 centimes par litre, mais les taux de protéines et de matière grasse dans le lait constituent un critère de valorisation du prix. L’alimentation en altitude contribue largement à la qualité du lait produit par les Rouges de Tor, qui pâturent au milieu de la bruyère et des myrtilles. En plein été, le lait vendu par Tor avoisine les 70 centimes du litre ! Un excellent indice de la richesse en gras et en protéines de son lait.


Photo. Territoire d'altitude composé de plantes multiples, pâturé par les animaux tout l'été.


Hans, l’éleveur connecté


La production de lait dans les seters est une pratique qui tend à se perdre, avec l’industrialisation des productions agricoles et la recherche d’un confort de vie pour les nouvelles générations d’éleveurs. Moins de mille éleveurs élèvent encore leurs animaux dans les fermes d’été en altitude. La plupart des éleveurs laitiers ont sédentarisé leur activité dans les vallées, où de grandes étendues d’herbe verte alimentent désormais les vaches toute l’année : pâturage en été, foin et enrubannage en hiver, lorsque la Norvège se couvre de son manteau neigeux.


Hans Ulberg fait partie des éleveurs qui ont concentré leur activité laitière sur un seul site. Hans élève 45 Rouges Norvégiennes sur la ferme familiale à 275 mètres d’altitude. Il s’est installé à la suite de son père en 2011 et a investi dans un robot de traite deux ans plus tard. Avec l'acquisition du robot, Hans a augmenté sa production pour rentabiliser l'investissement. Alors que son quota (droit à produire sur une année) s'élevait avant à 150'000 Litres de lait, Hans a racheté des terres pour augmenter son quota à 400'000 Litres de lait .


Photo. Maison de Hans


Hans possède un élevage où la quantité est devenue un objectif. Pour réussir, Hans est devenu un éleveur connecté ! Depuis son ordinateur, il nous a montré vache par vache leur niveau de production, la qualité de leur lait, leur fertilité, leurs problèmes de santé… L’installation d’un robot, la mise en place de moyens de surveillance rapides et précis pour détecter les chaleurs et les problèmes de santé, le contrôle d’une alimentation équilibrée et au plus près des besoins des vaches toute l’année… Autant de facteurs qui assurent aux belles Rouges de Hans une production laitière moyenne de 11'000 Litres par an. Un objectif rempli, mais des craintes majeures. Tandis que le prix du lait reste constant, Hans subit la fluctuation des prix des matières premières, dont il dépend pour élever ses vaches et pour vivre : alimentation des bêtes, électricité, bois…


Photos 1 et 2. Vaches de Hans. Chaque vache possède un collier qui enregistre la fréquence de rumination et les déplacements (tous deux aident l'éleveur à détecter les changements de comportement de ses vaches et à identifier les chaleurs ou les problèmes de santé).


Photo. Chez Hans, seules les génisses rejoignent les terres en altitude pour l'été.


La concentration de l’élevage laitier en vallée est symptomatique de la politique agricole conduite en Norvège (elle est très proche de la politique appliquée en France), où les éleveurs bénéficient de subventions « à l’hectare ». En résumé, plus on est gros, plus on reçoit de subventions. Hans déplore l’orientation de la politique agricole actuelle qui fait diminuer le nombre de petites exploitations, absorbées progressivement par les exploitations voisines. Ce phénomène est favorisé par la faible attractivité de l’élevage en Norvège. De nombreuses fermes ne sont pas reprises. Nombre d’entre-elles sont alors rachetées par des non-ruraux, qui conservent l’habitation et vendent ou louent les terres aux fermes voisines.


Photo. Vallée de Gudbrandsdalen, où se situe la ferme de Hans

Photo. Ferme de Hans, vue depuis le flanc opposé de la vallée de Gudbrandsdalen


On ne peut jeter la pierre aux éleveurs, qui subissent un monde chaque jour plus concurrentiel. A titre d’exemple, la coopérative TINE fait face à une collecte croissante du lait par des laiteries concurrentes privées. Hans nous explique que les laiteries privées choisissent préférentiellement les élevages à forte production, où la collecte de lait est aisée et proposent ainsi une rémunération du lait plus élevée que la coopérative. Pour rester dans la course, TINE optimise son rendement en fermant les sites de collecte les moins rentables: un projet qui, à terme, pourrait défavoriser la production de lait en montagne.


De nouvelles subventions ont vu le jour en Norvège, afin de soutenir l’élevage des animaux en altitude et limiter la désertification des seters. Un soutient qui, à lui seul, ne peut contrer l'intensification de l'élevage laitier dans la vallée. Mais là où la politique agricole trouve ses limites, c'est dans l'organisation du territoire, qui ne permet pas de développer le modèle laitier "standard" Européen. Le discours de certains éleveurs Norvégiens est plutôt clair sur ce point :

« C’est à croire que les politiques ne connaissent pas le territoire, tant il est impossible d’appliquer l’élevage productiviste ici comme dans d’autres pays d’Europe. En Norvège, si les fermes grossissent, les agriculteurs doivent faire des kilomètres pour entretenir leurs pâtures car l’espace disponible pour l’herbe est restreint et les pâtures étendues dans les vallées ».


Hans, comme de nombreux éleveurs, espère beaucoup du prochain gouvernement, dont l’élection a eu lieu le 13 septembre dernier. L’espoir d’un nouveau souffle pour l’élevage Norvégien ?



L'instant Norvégien


- Spaelsau : le petit mouton bon en tout

Les moutons élevés par Tor et ses parents sont de race Spaelsau, une race historique de Norvège (Old Norwegian) croisée avec des races Islandaises et des Iles Féroé. Les Spaelsau sont des petits moutons blancs (des variations grises ou noires existent dans la race) avec un fort instinct grégaire, adaptés au climat Norvégien et qui ne nécessitent pas de ressources alimentaires conséquentes. Environ 22% des moutons en Norvège sont de race Spaelsau. La race possède à la fois une excellente qualité de viande, un lait riche en matières grasses et une laine utilisée pour la confection de vêtements et tapis.


- Avec ou sans cornes

La Norvège possède des règles strictes en termes de santé et de bien-être des animaux. Ici, tous les gestes susceptibles d’engendrer de la douleur (castration, écornage) ne peuvent être réalisés que par un vétérinaire et l’usage de médicaments pour les animaux est durement réglementé. De ce fait, les organismes de sélection des animaux de rente en Norvège ont mis la priorité sur la santé et la praticité. Parmi les avancées de la sélection, les vaches et moutons Norvégiens naissent pour partie sans cornes. Cette caractéristique permet de supprimer l’écornage, une pratique douloureuse pour les animaux d’élevage mais néanmoins nécessaire pour la sécurité du troupeau et de l’éleveur. Par ailleurs, la sélection d’animaux sur des critères de santé explique qu’aujourd’hui, la Rouge Norvégienne est exportée y compris en France, pour sa résistance aux maladies et pathologies communes en élevage (solidité des aplombs, santé de la mamelle).


Photo. Rouge Norvégienne


- Fromage brun… Vraiment un fromage ?

Historiquement, à Eldåseter, on fabriquait le célèbre Brunost. Le Brunost est une production Norvégienne datant de plus de 300 ans. Si son nom Norvégien signifie littéralement « fromage brun », en réalité il n’en est point ! Il est le fruit de la cuisson lente du petit lait (auquel on peut ajouter de la crème ou du lait selon le type), qui caramélise et forme finalement une pâte brune. Le Brunost est issu d’un mélange de lait de vache et de chèvre (Gudbrandsdalsost), ou issu uniquement de lait de chèvre (Ekte Geitost) ou uniquement de lait de vache enrichi de crème (Fløtemysost). Le Brunost est un « fromage » typique Norvégien qui se consomme avec de la confiture sur une tartine de pain ou en sauce pour accompagner la viande.


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