Depuis Vienne, nous roulons vers le Nord-Est. A l’approche de la Slovaquie et de la République Tchèque, notre route traverse la campagne vallonnée de l’Est de l’Autriche, réputée pour ses vignobles. Quelques caves alignées le long de la route nous indiquent le rôle central de la culture du raisin dans la région. Dans le centre du village de Hausbrunn, un mur d’enceinte jaune muni d’une grande porte double en bois peinte en vert annonce « 11er Hof », une petite ferme familiale où vivent Markus et Matthias. Sur le trottoir, à l’entrée de la grande porte, une armoire ancienne en bois attise notre curiosité. Avant d’annoncer notre arrivée, nous jouons les petites souris et soulevons prudemment le loquet en bois qui ferme la porte de l’armoire. Dedans, tout y est : un frigo réfrigéré contient des bouteilles de lait cru, du fromage frais et du yaourt. A côté du frigo, une feuille plastifiée indique le prix de chaque produit et une caisse métallique nous permet de glisser l’argent pour acheter les produits qui se trouvent dans le frigo. Intéressant… Nous y reviendrons plus tard, car la grande porte s’ouvre !
Photo. Porte d'entrée de la ferme "11er Hof". A côté de la porte, une armoire en bois contient les produits de la ferme.
Il est 16 heures, Markus et Matthias sont rentrés de leur travail à l’extérieur et le temps est venu pour eux d’enfiler leur tenue d’éleveur et de démarrer leur seconde activité. Derrière le mur d’enceinte, une grande cour centrale est entourée de plusieurs bâtisses caractéristiques des corps de ferme édifiés dans la région. Une maison d’habitation, prolongée d’étables pour héberger le bétail et d’une passerelle couverte ferment la cour sur la gauche. Un mur en briques ferme la cour à droite. Au fond, un grand hangar abrite un tracteur, du fourrage et quelques jeunes bovins. Derrière le grand hangar, une porte ouvre sur une seconde cour, entourée de nouvelles étables pour les animaux. Cette petite ferme, dont l’activité est à peine perceptible depuis la rue, abrite un peu de tout, en petits effectifs ! Trois vaches suitées, quatre bovins âgés d’un à deux ans, deux chèvres et une chevrette de 6 mois, une truie de race Schwaben, dix jeunes porcs, un âne, un petit groupe de poules, de canards et d’oies indigènes d’Autriche et quelques lapins. En parallèle, une dizaine d’hectares servent à la culture des céréales pour l’alimentation des animaux.
Photos de gauche à droite. 1. Le chien de Markus et Matthias. 2. Jeunes bovins. 3. Basse cour de la ferme.
Les murs qui nous entourent sont riches d’histoire. Appartenant autrefois à un comte, les servantes dormaient dans les stalles où logent aujourd’hui les trois vaches. Par la suite, les grands-parents de Markus ont repris le corps de ferme et ses douze hectares attenants. Pendant la période communiste, les animaux des fermes de la région furent réquisitionnés et envoyés en Russie. Markus nous raconte comment sa grand-mère cacha une poule dans un des greniers, lui permettant d’avoir toujours quelques œufs. Markus a hérité de la propriété par sa grand-mère et a reconstruit l’activité de la ferme qui avait été abandonnée depuis lors. Alors que la région était connue autrefois pour l’élevage de porcs, 11er Hof est aujourd’hui l’une des dernières fermes du village où on élève des animaux. Markus et Matthias ont construit, pierre après pierre, le petit élevage très diversifié qui fait aujourd’hui leur fierté. « Ça a commencé avec une vache. Dans le voisinage, on pensait qu’il fallait être un peu fou pour prendre une vache ici. Quelques années plus tard, nos parcelles de céréales ont commencé à avoir un bon rendement. Le voisinage était surpris d’apercevoir que nous avions les meilleures récoltes ! En réalité, il était normal que l’on ait de meilleurs rendements qu’ailleurs. A force de ne produire que des céréales avec des engrais chimiques, les sols s’appauvrissent. Le fumier de nos animaux enrichit nos sols sur le long terme et les rend plus productifs. »
Photo. Sous le hangar, le tracteur est baigné dans la lumière de fin de journée.
Pour Markus et Matthias, l’objectif est simple : assurer modestement leur autonomie alimentaire et vendre le surplus aux habitants voisins. Pour eux, il n’est pas question de quitter leurs emplois à mi-temps respectifs, pas plus qu’il n’est question d’augmenter la production sur la ferme. En réalité, la production fluctue même au gré des mois et des années et le nombre d’animaux présents n’est pas figé : ce qui détermine le nombre d’animaux présents sur la ferme, c’est la quantité de céréales et de co-produits disponibles pour alimenter les animaux. Markus et Matthias n’achètent pas de céréales à l’extérieur. Toute l’alimentation des animaux est produite ici à l’exception du foin, qu’ils fauchent dans les plaines inondables de la Morava et de la Thaya, deux cours d'eau situés à quelques kilomètres d'ici. « Lorsqu’on a moins de céréales, on tue un cochon plus tôt que prévu, par exemple. A l’inverse, lorsqu’on a beaucoup de lait, les cochons en profitent aussi et parfois on abat des cochons à 200 kilos ! » explique Markus.
Photos 1 et 2. Truie et porcs en croissance de la ferme. Les animaux bénéficient d'un espace couchage séparé de l'espace de vie et d'alimentation. Comme le cochon est une espèce propre, les zones de couchage se sont pas souillées. A quelques semaines de la mise bas, la truie utilisera bientôt l'espace de couchage comme nid pour ses porcelets.
Markus et Matthias élèvent et cultivent selon les principes de l’agriculture biologique, même si leurs produits ne sont pas certifiés « AB ». La raison est principalement administrative. En effet, la réglementation en agriculture biologique a évolué il y a peu et oblige désormais les éleveurs à sortir les vaches au pâturage tous les jours de l’année. Chez Markus et Matthias, la configuration des lieux ne s’y prête pas. Comme pour beaucoup de petites fermes traditionnelles de la région, « les pâtures disponibles pour les animaux ne sont pas attenantes à la ferme, il est donc impossible de faire pâturer les animaux quand ils sont à l’abri à la ferme pour l’hiver » explique Markus. Ce n’est pas pour autant que les quelques vaches suivies de leurs veaux ne bénéficient pas d’une excursion quotidienne dans la cour de la ferme. Cette sortie récréative est l’occasion rêvée pour les veaux d’élancer leurs grandes pattes dans un concours de rodéos. Un quart d’heure de folie vite dissipé lorsque vient le moment de boire le lait de leurs mères. Car ici, on collecte le lait, mais seulement après avoir comblé l’appétit des jeunes veaux. « Nous avons trois vaches : Nina, Arnika et Burgel. Arnika a deux veaux parce que Nina n’a pas accepté le sien. C’est son premier veau et elle était très stressée après le vêlage. On ne trait pas Arnika, car elle donne tout son lait aux deux veaux. Par contre, on trait Nina et Burgel. Burgel n’a qu’un veau et après lui avoir donné son lait, il reste du lait pour nous ! ». Une philosophie que l’on ne rencontre que rarement en élevage de bovins laitiers, car le veau est un gros consommateur de lait. Laisser le veau sous la mère sous-entend qu’une grande proportion du lait produit ne pourra pas être valorisé. A 11er Hof, la quantité de lait produite n’est pas un critère de survie économique pour la ferme, puisque l’objectif est d’abord de nourrir ses habitants -Markus et Matthias- et en bonus, les habitants du voisinage. Pour autant, cette manière d’élever les veaux a un coût : le litre de lait que vendent les deux hommes est aux alentours de deux euros. Pour Markus, « si les clients veulent que nos veaux restent sous la mère, il faut qu’ils acceptent que le prix du lait soit plus élevé, car on n’en collecte beaucoup moins. » Cela n’empêche pas la ferme « 11er Hof » de bénéficier d’une clientèle fidèle, prête même à se déplacer depuis Vienne pour déguster ses produits frais.
Photos de gauche à droite. 1. Arnika, vache Grise du Tyrol de Markus et Matthias, accompagnée de ses deux veaux bien portants. Sur l’une de ses cornes, Arnika possède une fleur gravée (edelweiss) : symbole d’un prix gagné par la belle vache grise. 2. Burgel, vache Montafon et son veau.
La considération et le respect pour l’animal, pour Markus et Matthias, ne s’arrête pas là. En effet, les deux hommes mettent un point d’honneur à ce que l’abattage de leurs animaux se déroule avec autant de douceur que possible et loin des gros abattoirs. Ainsi, les porcs sont tués à la ferme alors qu’ils boivent une dernière gamelle de lait. Les jeunes bovins, quant à eux, partent à deux ans chez Helga et Wolfgang, deux éleveurs qui ont construit leur propre abattoir à la ferme. Markus et Matthias nous racontent : « La fin de nos animaux se passe très facilement. Wolfgang est extrêmement doux avec les animaux. On les emmène dans une petite remorque, on arrive là-bas et on fait une promenade à pied avec les bêtes, le temps qu’elles s’habituent au lieu et se détendent. Les bêtes sont tuées à l’extérieur de l’abattoir, pour ne pas les stresser. »
Photo. Helga et l’une de ses vaches. Helga et Wolfgang élèvent 34 mères allaitantes de plusieurs races : Pinzgauer, Angus, Wagyu et Salers. Ils possèdent 100 hectares de prairies et élèvent leurs bovins au pâturage pendant l’été, puis au foin, à l’ensilage et aux céréales pendant l’hiver. Les animaux sont abattus entre 3 et 4 ans. Leur viande très persillée est prisée et proposée dans quelques restaurants locaux.
La nuit tombe sur la cour de 11er Hof. Les loges des porcs dans l’arrière-cour sont curées. Leurs rations de céréales sont distribuées. Après quelques heures de détente dans la cour de la ferme, les vaches et les veaux rentrent dans leur étable. L’heure est venue de réaliser la traite de Nina et Burgel et d’une des deux chèvres de Styrie. « Matthias est l’expert des vaches et moi, l’expert des chèvres ! » dit Markus en riant. Pour les deux vaches, Matthias utilise un pot à lait. Pour la chèvre, Markus trait à la main. La fin de la traite de la chèvre sonne l’heure de manger : foin et céréales pour tous, et en plus, les dernières gouttes de lait pour la chevrette de 6 mois. Pendant ce temps, le chat surveille de près l’éventuelle apparition de rongeurs avec l’espoir, lui aussi, de lécher quelques gouttes du lait fraîchement collecté. Tandis que l’espoir continue de briller dans les yeux du chat, nous quittons 11er Hof en marquant un arrêt au frigo, histoire d’attraper quelques gouttes de lait pour notre prochain petit-déjeuner.
Photos de gauche à droite. 1. Matthias trait Nina. 2. Markus trait à la main la chèvre. 3. Pendant la traite. 4. Chevrette de 6 mois. 5. Cour de la ferme à la nuit tombée. 6. Le chat dans le couloir couvert qui longe l'étable.
Le saviez-vous ?
- Autriche biologique
En Autriche, l'agriculture biologique représente plus de 25% de la surface agricole du pays (loin devant la France, où l'on compte un peu moins de 8% de terres en agriculture biologique)! L'Autriche se classe ainsi comme le premier pays d'Europe en surface dédiée à l'agriculture biologique. La raison principale est la politique agricole Autrichienne, qui a fortement incité à la conversion en agriculture biologique. Les incitations ont eu pour objectif de sensibiliser les autrichiens au risque environnemental de l'agriculture conventionnelle, d'alerter sur le danger que représente l'agriculture conventionnelle pour les petits producteurs autrichiens et de créer une réelle identité agricole Autrichienne à travers l'agriculture biologique.
- Au pays du vin
Les Kellergasse (caves à vin) ou Presshäuser (pressoirs) sont des constructions caractéristiques de la région viticole de Basse Autriche (à l'Est de Vienne). Sur deux niveaux, ces remises abritaient le pressoir au "rez-de-chaussée" et les caves sous terre.
- Village célèbre
Hans Asperger, le pédiatre qui a donné son nom au Syndrome d'Asperger est né dans une ferme d'Hausbrunn en 1906 ! Il grandira par la suite à Vienne. Il découvrira le syndrome en 1944 qui sera reconnu plus tard comme maladie du spectre de l'autisme.
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