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Photo du rédacteurMauricette Dupont

Derrière la forêt, une vache !

En plein cœur du massif de la Forêt-Noire, dans le sud-ouest de l’Allemagne, l’hiver rigoureux suit son rythme de croisière. En février, les montagnes et les conifères de la région sont couverts de neige fraîche. A mille mètres d’altitude, au Sud de la Forêt-Noire, Johannes nous accueille sur la ferme familiale Hof Till avec sa compagne Anne-Katherin. La ferme surplombe le lac de Schluch, l’un des nombreux lacs caractéristiques de la région. A peine le nez dehors, nos bonnets sont recouverts de flocons.


« Il neige souvent comme ça ici ?

– Ici c’est comme ça tout l’hiver, parfois le sol est couvert de neige sur plus d’un mètre de hauteur ».



Chez Johannes et Anne-Katherin, les bêtes sont à l’abri pour l’hiver. Le pâturage ne reprendra qu’à partir du mois d’avril, lorsque la neige aura laissé place à la végétation. Dans l’étable en bois, sur la gauche, 35 chèvres de Thuringe (Thuringer Waldziege en Allemand) nous observent avec malice. Sur la droite, 18 petites vaches ruminent paisiblement le foin mis à leur disposition. Ce sont des vaches d’Hinterwäld, originaires de la Forêt-Noire, connues comme l’une des plus petites races de vache d’Europe : 115 centimètres au garrot ! Vous l’aurez compris, à Hof Till, on a un penchant pour les races locales. « En Forêt-Noire, les sols ne sont composés que de forêt et d’herbe. Les terres sont pauvres et une partie d’entre elles se trouvent à flanc de montagne. On ne peut donc pas produire de céréales. La vache d’Hinterwäld est petite et frugale, ce qui fait d’elle la vache la plus adaptée à cette région. Elle se nourrit d’herbe en été et de foin en hiver. Contrairement à d’autres races bovines, elle n’a pas besoin de céréales pour subvenir à ses besoins. » explique Johannes.



Les caractéristiques de la vache d’Hinterwäld remplissent l’un des principaux objectifs de la ferme : nourrir le troupeau uniquement avec les ressources disponibles localement. La combinaison entre l’élevage des vaches et des chèvres est aussi un atout. Dans la région, la forêt est reine et l’espace de vie pour l’Homme et l’animal se mérite chaque année. Au printemps, les prairies laissent apparaître de jeunes plants. De futurs arbres, qui établiront au bout de quelques années un bois, puis une forêt. A Hof Till, les ruminants entretiennent les pâtures, qui seraient avalées par la forêt en l’absence d’animaux. Ainsi, les chèvres sortent d’abord en avril, lorsque la neige commence à fondre et que de jeunes conifères apparaissent au milieu de l’herbe. Les chèvres mangent toutes les jeunes pousses d’arbres qui dépassent, ce qui permet de nettoyer les parcelles. Les vaches, quant à elles, sortent un peu plus tard, lorsque l’herbe est de nouveau abondante.



Johannes et Anne-Kathrin ont repris l’exploitation cette année. Jusqu’alors, l’exploitation était dirigée par Heinrich et Christin, les parents de Johannes, qui ont conduit le troupeau de vaches d’Hinterwäld pendant trente ans pour transformer leur lait en fromage. Oui, pour le lait ! Et pourtant, avec 3000 litres produits par an, ce n’est pas vraiment sa spécialité. Heinrich, le père de Johannes, nous raconte comment en trente ans, une sélection des animaux pleine de bon sens a permis d’augmenter la production laitière de la race. Dans la région, il existe deux races bovines locales, deux races sœurs pour être exact, la vache d’Hinterwäld et la vache de Vorderwäld. La deuxième est élevée dans les vallées, elle est plus grande et aussi plus productive en lait, 4-5000 Litres par an. Pendant trente ans, on a croisé la vache d’Hinterwäld avec la Vorderwäld. Heinrich raconte : « J’allais chercher les plus petites vaches dans les troupeaux de Vorderwäld, celles que les éleveurs ne voulaient pas parce qu’elles ne rentraient pas dans le standard de la race. » C’est ainsi que les vaches d’Hinterwäld ont produit un peu plus de lait, pour un peu plus de fromage à la ferme Hof Till. Les quelques litres gagnés par la sélection génétique ne feront jamais de la vache d’Hinterwäld un grande laitière. En moyenne, la production laitière de la vache d’Hinterwäld reste bien éloignée des 9000 litres annuels des races spécialisées. Quoi qu’il en soit, élever en Forêt-Noire des races laitières gourmandes en céréales serait un non-sens compte tenu du contexte pédoclimatique de la région. Une aberration pour laquelle la famille Till n’aurait jamais signé.



Aujourd’hui, les vaches d’Hinterwäld ont délaissé la salle de traite. A la reprise de l’exploitation, Johannes et Anne-Kathrin se sont tournés vers la transformation fromagère du lait de chèvre. Un choix dicté par leur passion pour ce petit ruminant. « Il avait seulement sept ans quand Johannes m’a demandé de lui vendre mes chèvres. Il me soutenait que le fromage de chèvre rapportait beaucoup d’argent et il voulait lancer son business en achetant mon troupeau ! J’ai refusé, d’abord parce qu’il était jeune, mais aussi parce que je voulais qu’il s’imagine dans ce travail avec d’autres valeurs que l’argent qu’il pouvait gagner. » raconte Heinrich. Les années passèrent et lorsque Johannes décida de reprendre l’exploitation, il était clair pour lui qu’il ne trairait pas les vaches, mais les chèvres. Dans la famille, on a pris ce changement de cap avec philosophie : « Ça ne sert à rien de se lancer dans l’élevage si tu n’as pas d’affinités avec l’animal que tu élèves. Tu vis toute ta vie avec l’animal, du matin au soir. C’est un travail qui se mène par la passion donc il est normal que tu choisisses avec quel animal tu veux passer tes journées » nous explique-t-on. Il n’est pas pour autant question de se défaire du troupeau d’Hinterwäld, qui possède une valeur familiale et joue un rôle majeur dans l’entretien du paysage.


Photos de gauche à droite. Etapes de la fabrication des fromages produits sur la ferme 1. Brassage du caillé issu du lait de chèvre. 2. Extraction du caillé à l'aide d'un linge. 3. Le caillé est pressé à la main pour évacuer le petit lait. 4 et 5. Le caillé est conservé sous presse jusqu'au lendemain avant de rejoindre la cave d'affinage.


En parallèle, la ferme accueille quelques porcs et poules, qui agissent comme vecteurs de diversité sur la ferme : diversité d’espèces d’une part (on trouve quelques poules d’une race locale et différents porcs croisés à l’engraissement) et diversité de produits d’autre part pour le magasin à la ferme tenu par Johannes et Anne-Kathrin. Saucisson, lard et côtes fumées, œufs, fromages à différents stades de maturation, sauce bolognaise à base de viande d’Hinterwäld… Autant de produits disponibles dans le petit magasin au rez-de-chaussée de la maison.



Comme le dit l’adage : « Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier ». Le sujet vient facilement sur le tapis, en s’attardant sur les problématiques sanitaires qui touchent les élevages d’Europe. Alors que la Peste Porcine Africaine ravage les populations de porcs sauvages et domestiques à l’Est de l’Europe et contraint de nombreux éleveurs à des aménagements pour la biosécurité (y compris en France), pour Johannes, l’épidémie n’est pas un enjeu : « Aujourd’hui il n’y a pas de cas par ici. Quand bien même la Peste Porcine apparaitrait dans la région, on arrêterait d’élever des cochons pendant un ou deux ans, cela ne nous empêcherait pas de faire tourner notre ferme. C’est pour ça que c’est important pour nous d’avoir plusieurs productions ». En attendant, la présence des porcs sur l’exploitation permet de valoriser le petit lait issu de la transformation fromagère !



« Les petites exploitations, c’est l’avenir ! » s’exclame Heinrich. Il faut reconnaître qu’au Sud de l’Allemagne, le dénivelé et les sols pauvres favorisent l’implantation de petites fermes à faibles effectifs d’animaux. Chez Johannes et Anne-Kathrin, la diversification des productions et des activités permet au couple de vivre entièrement de leur activité d’élevage. Sur la ferme, on compte cinq activités toutes complémentaires : l’élevage, la fromagerie, le magasin à la ferme, la vente sur les marchés et enfin, le food-truck de Johannes ! Johannes a en effet lancé son activité de restauration ambulante en 2015, après avoir travaillé plusieurs années comme chef de cuisine et directeur d’hôtel. Une activité secondaire qui s’ajoute à l’éventail des compétences de la ferme. Le food-truck propose les bons produits bios de la ferme, entre autres, sur les marchés de Noël et les festivals de la région. En somme, la petite exploitation Hof Till ne connait pas la crise. L’autonomie alimentaire de l’élevage et la diversité des productions, des produits et des modes de vente leur assure une grande capacité d’adaptation face à un monde rempli d’incertitudes.



Le saviez-vous ?

- Fumé au bois de la Forêt-Noire

La Forêt-Noire est une région réputée pour le « Schwarzwälder Schinken », ou jambon de la Forêt-Noire. Fumé pendant plusieurs semaines au bois de pin et d’épicéa de la région, ce fameux jambon bénéficie d’une IGP (indication géographique protégée). Si le jambon est le plus populaire, la viande fumée en général est la spécialité de la région. Le « Schwarzwälder Speck » ou lard de la Forêt-Noire est tout aussi célèbre.


- La passion ou la raison

Si l’environnement en Forêt-Noire est idéal pour les fermes à petite-échelle, celles-ci ne sont pas toujours suffisamment rémunératrices pour en vivre. Au Nord de la Forêt-Noire, sur les hauteurs du village de Malsch, Markus et son père ont construit des bâtiments en 2013 pour y accueillir un troupeau de 25 vaches, majoritairement composé de vaches d’Hinterwäld et de Vorderwäld. Markus élève son troupeau en parallèle de son emploi principal dans la mécanique automobile. Ici également, on élève le troupeau pour la viande et non pour le lait. Un choix cohérent, compte tenu que Markus doit consacrer du temps pour deux activités : son élevage et son emploi. La passion et la raison, respectivement. Car Markus est d’abord un passionné. Passionné des vaches, alors qu’il n’a pas grandi les pieds dans la paille. Avec l’aide de son père, ils ont démarré l’activité à partir de rien. Ils se sont orientés vers les races originaires de la Forêt-Noire pour leur bonne adaptation au territoire, mais aussi parce que les races en danger d’extinction bénéficient d’un soutien de l’Union Européenne. En effet, les éleveurs de vaches d’Hinterwäld reçoivent une aide de 120€ par mère et par an.


Photos. L’hiver chez Markus, le troupeau est à l’abri sous le bâtiment. Parmi les vaches, Napoléon, le taureau, mâche patiemment son foin. Le premier vêlage a eu lieu il y a quelques jours, un évènement annonciateur d’une nouvelle saison qui démarre. A partir du mois de mai, les bovins bénéficient de 30 hectares de pâtures, louées en majorité. Dans la région, la surface de pâturage est découpée en petites parcelles, ce qui ne facilite pas le travail, notamment pour les clôtures. Néanmoins, la présence des vaches de Markus permet d’entretenir les terres avoisinantes. La viande des bovins de Markus approvisionne le petit restaurant bio "Erasmus" de Marcello, à Karlsruhe, à quelques kilomètres de là.


- Quand la lisière avance

En Forêt Noire, comme dans beaucoup d’autres régions montagneuses d’Europe, les éleveurs soulignent le fait que sans animaux pour pâturer les herbages existants la forêt reprendrait rapidement le dessus. En effet, la forêt progresse principalement sur les surfaces agricoles qui ne sont plus exploitées. Paradoxalement une forêt qui se développe peut être vu comme un signe encourageant pour la biodiversité mais c’est également un indicateur de la déprise agricole et du renoncement à l’élevage traditionnel des ruminants en alpage. Pour exemple, en Suisse cette surface rendue à la nature représente 4000 hectares par an et en France on avoisine les 80 000 hectares chaque année et ce depuis 30 ans ! On saisit donc bien l’utilité d’une politique agricole de soutien à l’élevage de montagne.



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