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Photo du rédacteurBasstien Lm

Charpentier des essaims, architecte de souche.

En se perdant dans les forêts de pins de l'extrême sud de la Lituanie, à la frontière avec la Biélorussie, on tombe sur le village de Musteika. La route cahoteuse qui y mène nous fait longer un ancien complexe d'aquaculture asséché en 2003 car trop coûteux à entretenir. La vue des bassins envahis d'herbe accompagnés chacun de leur silo rouillé nous laisse perplexes. Une ambiance d’ancien pays soviétique et d’industrie à l’abandon. Pourtant, le hameau, habité par une soixantaine de personnes, a su préserver les traditions de la région. Ici, la "Pirkia" (maison traditionnelle) est construite en bois comme dans le temps et certaines sont même encore recouvertes d'un toit en chaumes.


Cette région, baignée par le fleuve Niémen (oui, oui, comme dans Normandie-Niémen la célèbre escadrille pour les amateurs d'Histoire !), appartient au Parc National de Dzūkija. Recouvert à 80% de forêt, le but de ce parc lors de sa création (au rétablissement de l'indépendance vis à vis de l'URSS en 1991) était de préserver les forêts de pins, le paysage et les habitats typiques de la région. En découvrant Musteika on ne peut que confirmer que les objectifs sont atteints !


Photo. Musée de l'apiculture traditionnelle de Musteika


Si nous sommes venus jusqu'ici, ça n'est pas par amour de la bordure extérieure de l'Union Européenne (en particulier en ce moment !) mais bien pour une découverte atypique. Nous avons déterré ici les racines de l’apiculture moderne ! C’est Romas qui nous a accueilli à Musteika. Romas est un apiculteur du Parc National et il maintient ici une activité installée dans la région depuis des siècles : la récolte du miel à partir de ruches installées dans des arbres-creux ! Le parc dénombre une cinquantaine d'arbres-ruches dont 16 ont été classés comme objets du patrimoine naturel du pays. En Lituanie, l’apiculture moderne a remplacé les ruches dans les arbres creux, pour lesquelles le travail est bien plus pénible. Romas a donc un rôle de mémoire et de transmission du savoir-faire des anciens. Romas gère le petit musée de l'apiculture traditionnelle, où se trouvent de nombreux outils et une grande variété de ruches, illustrant leur évolution au fil des siècles. Aujourd’hui de jeunes apiculteurs viennent se former aux côtés de Romas, la preuve que la tradition apicole du pays perdure à travers les générations. Le miel produit dans le Parc est vendu aux alentours de 40€ le kilo : le prix de la mémoire et d’un travail exceptionnel !


Photo. Petit matériel de l'apiculteur exposé au musée de Musteika

Photo. Présentation alternative de la ruche dans une souche.


Historiquement, la méthode de récolte du miel dans les arbres était répandue dans les forêts s’étendant de la mer Baltique jusqu'à l’Altai (au sud de la Sibérie). En Lituanie, les premières traces écrites de bûcherons et d’apiculture dans les arbres remontent au 13ème siècle. Les bûcherons en se promenant dans la forêt observaient les vieux arbres creux. S’ils identifiaient la présence d'un essaim dans l'arbre, ils en agrandissaient l’ouverture et marquaient l'arbre d'un symbole (signe de leur propriété), puis ils récoltaient le miel le moment venu. Les Hommes, à l'instar des ours, étaient alors des prédateurs pour les colonies. Passant de « chasseurs de miel » à « éleveurs d’abeilles », les bûcherons ont rapidement pris pour habitude de laisser quelques rayons de miel dans la ruche afin que les abeilles puissent se nourrir durant les longs hivers en pays Balte. Ils les ont également protégées des prédateurs, notamment des pics, en installant des branches d'épicéa pour dissimuler l'entrée des ruches. C'est ainsi que de simples bûcherons sont devenus bûcherons-apiculteurs !


Photo. En levant les yeux, on peut apercevoir l'entrée de la ruche installée dans le tronc de l'arbre.


Les ruches se situaient souvent dans des arbres-creux centenaires, en hauteur (parfois jusqu'à 8 mètres) et il était donc difficile d’y accéder. L’ascension nécessitait un « geinis » (une corde tressée avec une boucle, une dent pour fixer la corde à l’arbre et une barre pour pouvoir tenir en position face à la ruche). Il fallait également grimper avec une hache pour ouvrir la ruche, un couteau pour couper les rayons de miel, un enfumoir, un filet pour se protéger le visage et un récipient pour récolter les rayons. Un vrai travail d'équilibriste !

La relation entre les Hommes et les abeilles se professionnalisa et fût par la suite très contrôlée puisqu’inscrite dans les statuts du Duché de Lituanie. L’idée était simple : quiconque détruisait une ruche méritait la mort...


Des écrits du XVIème siècle renseignent sur la façon dont étaient gérées les ruches :

"Un apiculteur choisissait un vieux pin de 30-40 ans afin d’en faire une ruche-tronc. Il en coupait la tête, ainsi l'arbre ne poussait plus en hauteur mais en revanche le tronc s’épaississait. Le haut du tronc était recouvert d’un chapeau afin de le protéger du pourrissement. L’arbre était ensuite choyé, tous les arbres ou arbustes dans un rayon de 10 mètres étaient coupés afin de lui laisser de l’espace pour se développer. Cet arbre devenait la propriété d’une famille et ce n’était seulement qu’au bout de 100 ans qu’il était assez épais pour être creusé afin de devenir une ruche. De telle ruche n’était habituellement visitée que 2 fois dans l’année : au printemps pour le nettoyage après l’hiver et pour la récolte du miel à l’automne."


Photo. Le creux de l'arbre est aménagé pour y accueillir l'essaim


A l’époque, on avait pour habitude de payer les taxes de l’église avec du miel et de la cire. En 1501, le grand-duc Alexandre de Lituanie promulgua une loi, conforme aux coutumes apicoles de l’époque, qui légiféra les pratiques traditionnelles de l’apiculture. Les apiculteurs étaient désormais exemptés de leurs obligations envers les manoirs, ils étaient payés pour gérer la moitié des terres du manoir en échange de quoi ils donnaient la moitié du miel et de la cire qu’ils récoltaient à leur maître. La cire était l’un des principaux produits d’exportation du Duché et revêtait un enjeu stratégique. Elle était largement utilisée pour le culte dans les églises et les monastères (bougies), pour la production de tablettes de cire (les tablettes à écrire) et surtout pour la fonte des métaux (bijoux, cloches, clés et canons). Cela explique le rôle crucial de l’apiculture et les privilèges dont bénéficiaient les apiculteurs en ces temps.


Les ruches dans les arbres se font uniquement dans des pins, c'est l'arbre le plus présent dans la région. Aujourd'hui les ruches sont creusées à la tronçonneuse, mais elles furent longtemps creusées manuellement. Une chose est sûre, il fallait beaucoup d'huile de coude pour créer une ruche-tronc ! Romas cultive aussi les terres autour de ses ruches, il y sème du tournesol, du blé noir, du trèfle, de la phacélie, autant de plantes qui donneront des fleurs à butiner pour les abeilles au printemps. Pour admirer cela, il va falloir attendre un peu… Nous sommes au mois de Novembre et il gèle la nuit dans cette région. Les essaims sont en boule dans les ruches, ils maintiennent une température de 28°C pour survivre à l'hiver. Les abeilles n'émergeront de la ruche qu'à la fin du mois d’avril, quand la neige aura fondu.


Photo. Culture des terres à proximité des ruches (on aperçoit à droite un pin étêté et surmonté d'un chapeau pour l'accueil des ruches)


Dans les arbres creux comme dans les ruches modernes, les abeilles subissent les mêmes prédateurs : le varroa et les frelons. Les abeilles sont sujettes ici aussi aux maladies communes aux ruches européennes. En partenariat avec l’Institut des Sciences Animales de Lituanie, les apiculteurs du Parc National mènent un projet de réintroduction de l’abeille locale : l’abeille noire. L’abeille noire est une sous-espèce parmi les « abeilles porteuses de miel ». De son petit nom scientifique, Apis mellifera mellifera, l’abeille noire est adaptée au climat Européen. Alors que les sous-espèces d’abeilles Italiennes ou Caucasiennes ont été sélectionnées par l’Homme pour un meilleur rendement en miel, l’abeille noire a conservé son patrimoine génétique « naturel ». De fait, elle s’avère aujourd’hui plus résistante aux maladies et aux aléas climatiques que ses cousines mellifères. Son caractère est comme sa génétique : « brut de pomme » ! Et cela n’a pas que des avantages : l’abeille noire peut se montrer agressive, ce qui lui a valu d’être délaissée par les apiculteurs modernes au profit des sous-espèces plus dociles et plus productives. Aujourd’hui, elle revient donc sur le devant de la scène et c’est tant mieux : excellente pollinisatrice, frugale, résistante, espérance de vie supérieure… Elle en a des qualités !


Image. Pièce Lituanienne de collection représentant le travail de l'apiculteur dans les arbres creux (Edition 2020).



Le saviez-vous?


- En France aussi nous avons des pollinisateurs!

Le site https://pollinisateurs.pnaopie.fr/ a été mis en ligne par l'Office pour les insectes et leur environnement. Il présente différentes actions mises en place afin de maintenir des territoires favorables aux pollinisateurs en France. Vous y trouverez également des ressources documentaires gratuites et un onglet "Que puis-je faire?" pour agir à votre échelle. Par exemple, connaissez-vous le Spipoll ? C'est un programme de science participative très intéressant ! Bref, comme c'est si bien dit sur le site : "Essaimez, parlez en autour de vous!"


- Pour la conservation des races Lithuaniennes

Dans le village de Baisolaga (au centre du pays), une bâtisse historique de la fin du XIXème siècle abrite l’Institut d’élevage de l’Université des Sciences Animales. Rūta Šveistienė y dirige le département de recherche en génétique animale et gère le Centre Lituanien pour la coordination des ressources génétiques des animaux d’élevage. Durant une excursion en voiture avec Rūta, nous sommes partis à la rencontre des races locales Lituaniennes hébergées par le Centre : poney Žemaitukai (historiquement poney militaire utilisé pendant les croisades), vache grise (cousine proche de la vache Bleue Lettone), vache à dos blanc (que l’on peut assimiler sans trop de doute au rameau nordique à côté de la Fjäll Suédoise), mouton à laine grossière, chèvre et oie Lituanienne, porc blanc et porc indigène Lituanien… Le centre a pour mission de conserver la génétique des races locales, aujourd’hui pas ou peu représentées dans le paysage agricole. En Lituanie, 4% des exploitations agricoles détiennent 54% de la SAU totale. La plupart sont des exploitations immenses, héritières des kolkhoses, dont les productions sont majoritairement consacrées à l’export. Autant dire que dans ce décor agricole, les races locales à faible rendement ont peu de valeur. Si les petites exploitations familiales représentent 42% des exploitations et constituent un réservoir pour l’élevage des races locales Lituaniennes, la pérennité de ces dernières est menacée pour deux raisons majeures : il n’existe pas de marché pour distribuer les produits des petits producteurs et les réglementations sanitaires de plus en plus contraignantes incitent à l’arrêt des élevages familiaux. A titre d’exemple, la crise sanitaire liée à la Peste Porcine Africaine conduit aujourd’hui à la disparition du Porc Indigène Lituanien et du Porc Blanc Lituanien dans les campagnes. Traditionnellement, les porcs Indigènes et Blancs étaient élevés pour leur gras dorsal. Le gras dorsal, fumé, est un produit traditionnel affectionné encore aujourd’hui par les Lituaniens.


Photos de gauche à droite. 1. Poney Žemaitukai. 2. Mouton à laine grossière (Lietuvos vietinės šiurkščiavilnės avys). 3. Oie blanche Lituanienne (Vištinės žąsys). 4. Vache grise (Lietuvos šėmieji galvijai). 5. Vache à dos blanc (Lietuvos baltnugariai galvijai). 6. Porc indigène Lituanien (Lietuvos vietinės kiaulės - photo issue du site internet de l'institut)

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