Cap vers le Nord, où nous entrons en région Sápmi, où vit le dernier peuple autochtone d’Europe : le peuple Sami. Au milieu du mois d’octobre, en territoire Sápmi, les éleveurs de rennes investissent les forêts. C’est la saison où les éleveurs Sami chassent l’élan, avant que les rennes redescendent de la montagne et que la neige ne s’installe durablement.
Andreas est éleveur de rennes dans la région du Nord de Vilhelmina. Il fait partie d’une communauté Sami composée de cinq familles et 45 membres. Sa famille à lui, habite le petit village de Blaikliden, une heure à l’Ouest de Vilhelmina, vers les montagnes qui marquent la frontière avec la Norvège. Andreas partage sa vie entre Blaikliden et Vilhelmina, où il tient un atelier de découpe et de transformation ainsi qu’un magasin. A Vilhelmina, il vend les produits issus de son élevage de rennes, mais aussi les fruits de la chasse et de la pêche de sa communauté. On n’est pas vraiment arrivés au bon moment de l’année pour rencontrer Andreas. En octobre, il multiplie les activités : vente des produits, chasse à l’élan, découpe et transformation des élans qui arrivent à un rythme imprévisible, au gré des aléas de la chasse. Alors, pour échanger avec lui sur l’élevage des rennes, on a enfilé nos plus grosses chaussettes, notre plus chaud blouson et notre plus beau bonnet… Et l’avons accompagné à la chasse à l’élan !
Il est bientôt huit heures, le jour se lève derrière les cimes des pins. Le village de Blaikliden est déjà bien réveillé, mais il y règne un grand silence. Andreas nous explique en chuchotant : on ne fait aucun bruit pour ne pas effrayer les élans. Il nous indique le parcours que nous allons emprunter pour nous rendre à notre poste de chasse. Son père, lui, est parti avec le chien dans la forêt. Quatre autres membres du village prennent part à la chasse et rejoignent au même instant des postes d’observation différents.
Photo. Les circuits dédiés aux motoneiges sont balisés de croix rouges
Nous nous dirigeons avec Andreas vers notre poste d’observation en suivant le balisage dédié au passage des motos-neige en hiver. Arrivés à destination, une longue attente démarre. L’occasion pour nous de comprendre que malgré nos grosses chaussettes, nous allons souffrir du froid nordique ! Andreas nous montre l’évolution du chien sur le moniteur GPS et nous explique comment se déroule la recherche de la grande bête brune. A l’écouter, on comprend les connaissances, l’expérience et le savoir-faire qu’il possède.
Des connaissances, de l’expérience… Andreas n’en a pas seulement pour la chasse, mais plus généralement, pour une vie en collaboration avec la nature. Les Sami tirent la majorité de leurs besoins vitaux (alimentation, vêtements, objets de la vie quotidienne) de ce que la nature du Nord de l’Europe leur offre. Le mode de vie Sami est établi autour de trois activités majeures : la chasse, la pêche et l’élevage des rennes. Aujourd’hui, même si la modernité s’est infiltrée dans le quotidien du peuple Sami, sa culture, ses traditions et son mode de vie sont restés intacts. Preuve d’une excellente résistance/résilience des Sami à la standardisation de nos sociétés modernes. Alors forcément, on comprend pourquoi aujourd’hui, le mode de vie d’Andreas est à des années-lumière de ce que nous connaissons, ce qui nous donne la sensation d’avoir tout à apprendre. Andreas le sait très bien : « On nait Sami, on ne le devient pas. Il faut savoir ressentir la forêt, la montagne, le vent… Si tu n’es pas né Sami, tu ne pourras jamais le devenir, même si tu le souhaites. ». Installés à ses côtés à l’écouter, debout, les pieds refroidis par la neige tombée dans la nuit, à attendre le gibier qui nourrira sa communauté pour l’année à venir… On a été traversés par cette sensation d’un lien disparu entre l’« Homme moderne » et la nature. Une sensation qui nous aurait presque fait rougir de honte.
Aujourd’hui, c’est une bonne journée pour la chasse à l’élan. La neige est tombée dans la nuit et les empreintes sont facilement repérables. En milieu de matinée, alors que l’on reprend la marche pour rejoindre un nouveau poste d’observation, Andreas s’arrête. On voit de belles empreintes d’un élan qui a coupé notre route. Andréas s’agenouille et évalue la fraicheur des empreintes en manipulant la neige. On est sur une piste ! Pendant quelques centaines de mètres, on suit les empreintes qui traversent un peu de forêt et quelques petits ruisseaux. Andreas s’arrête régulièrement pour évaluer la qualité des empreintes. Au bout de quelques minutes de marche, on s’arrête là. Les empreintes sont bien fraîches et devant nous s’étend une grande plaine propice à l’observation d’un élan. Maintenant, il ne reste plus qu’à patienter.
Photo. Andreas évalue les empreintes d'élan dans la neige
Photo. En attendant l'élan
Pendant ce temps, à l’extrême Ouest de la région de Vilhelmina Nord, à la frontière avec la Norvège, les rennes semi-domestiques d’Andreas (comme l’ensemble des rennes de sa communauté) vagabondent par petits groupes dans les montagnes. Son troupeau, il l’a hérité de sa grand-mère. Un héritage qui a sauté une génération, puisque son père n’a pas voulu prendre la responsabilité du troupeau. A la place, il s’est impliqué dans la construction d’habitations traditionnelles Sami. Elever des rennes n’a pas toujours été couronné de succès pour les Sami. Pendant de nombreuses années, l’élevage traditionnel des rennes au Nord de la Suède a dû faire front pour conserver son droit à pâturer sur les grandes étendues Suédoises, détenues par le gouvernement, les privés et les compagnies forestières. Un combat qui perdure aujourd’hui encore, même si les activités de chasse, de pêche et d’élevage du peuple Sami sont désormais reconnues et protégées par la loi. Parce que si les terres d’élevage sont, par-delà les frontières, un sujet de crispation, ici on ne parle pas de quelques hectares : les éleveurs Sami traversent la Suède d’Ouest en Est pour élever leurs rennes.
Photos. Rennes semi-domestiques au pâturage dans les montagnes à l'Ouest de Vilhelmina
Car oui, les rennes possèdent un comportement migrateur. Ils changent naturellement d’habitat au gré des saisons, pour accéder aux ressources naturelles disponibles. Pendant l’été, ils se nourrissent des herbes et plantes de la montagne. A l’arrivée de l’hiver, les rennes s’installent dans les massifs forestiers, où ils adoptent un régime alimentaire constitué en majorité de lichens, qu’ils débusquent en creusant l’épaisse couverture de neige. Lichens du sol pendant le début de l’hiver, lichens des arbres à la fin de l’hiver. Les éleveurs Sami se sont adaptés à la migration naturelle des rennes et ont maintenu le mouvement du troupeau au rythme des saisons. Le troupeau d’Andreas, lui, vit dans les alentours montagneux de Klimpfjäll en été. A la fin du mois d’Octobre, le troupeau est transporté par voie routière jusqu’aux forêts avoisinant la côte Est, vers Björna. Le troupeau reprendra la direction de l’Ouest à pied au printemps. Au total, le troupeau parcourt entre 1000 et 1400 kilomètres sur l’année !
Photo. Harem de rennes sur la route des montagnes
Chez les rennes, les mâles vivent en harem. Le cheptel d’Andreas est donc composé de 80% de femelles et 20% de mâles. Au printemps, lorsque le troupeau quitte les forêts côtières de Suède pour les montagnes à l’Ouest, les femelles donnent naissance à un faon (environ 90% des femelles du troupeau mettent bas). La vie est rude, là-haut, pour les jeunes rennes. Plusieurs prédateurs rodent dans les parages. Les ours, les gloutons et les lynx vivent sur le dos des jeunes rennes et tuent en moyenne 20 à 30% des jeunes de l’année. Certains éleveurs comptent parfois jusqu’à 60% de pertes liées à la prédation. L’identification des jeunes en Août sera un premier indicateur du nombre de faons présents en montagne. Chaque éleveur coupe les oreilles des faons selon un motif précis, permettant de reconnaître son appartenance. En moyenne, les adultes, eux, vivent entre 13 et 14 ans. Les femelles adultes sont généralement réformées lorsque leur santé s’affaiblit (mauvaise apparence, dentition détériorée, infertilité). Les mâles, eux, sont abattus lorsqu’ils sont trop gras et trop lourds pour la reproduction. On rassemble le troupeau en Septembre, avant la saison de reproduction, pour sélectionner les mâles adultes destinés à l’abattoir. A la fin du mois d’Octobre, on rassemble de nouveau les rennes avant la migration à l’Est. On trie alors les jeunes mâles de l’année, qui seront abattus pour l’autoconsommation ou la vente. Les jeunes femelles renouvelleront le troupeau.
Photos. Végétation diversifiée dans les montagnes où vivent les rennes pendant l'été
Andreas vend essentiellement sa viande de renne à la restauration et dans son magasin, où il accueille une clientèle locale et une autre guidée jusqu’ici par le tourisme. L’activité touristique dans la région est croissante et la pandémie a fait exploser le déplacement des vacanciers Suédois dans le Nord du pays. L’été, Andreas et sa conjointe (qui possède également un élevage de rennes au sein d’une autre communauté Sami) ouvrent un magasin sur la route qui mène aux montagnes. Ils y vendent de la viande, du poisson, mais aussi des sandwichs à base de poisson qui font fureur auprès des touristes de passage !
L’élevage des rennes sur le territoire Sápmi a longtemps été remis en question par les populations qui ont colonisé cette région étendue de la Norvège à la Russie. Les Sami ont tantôt composé avec l’installation des colons, la privatisation de leurs terres, la création des frontières entre la Norvège, la Suède et la Finlande qui ont restreint leurs aires de pâturage, le développement des activités minières et forestières… Si le droit d’élever les rennes sur le territoire est désormais acquis par le biais du « Swedish Reindeer Husbandry Act », il est soumis à des règles qui se sont établies au fil des décennies et au gré des conflits. Ainsi, en Suède, la « Ligne Agricole » (cf. The Agriculture Line), établie en 1868 pour protéger les terres montagneuses des éleveurs Sami, est toujours d’actualité. La ligne divise le Nord du pays en deux régions : l’Ouest montagneux et l’Est côtier. A l’Ouest de la ligne se trouvent les terres dont bénéficient les éleveurs toute l’année. A l’Est de la Ligne, se trouvent les zones forestières autorisées au pâturage du 1er Octobre au 30 Avril.
Les Sami conservent donc aujourd’hui la liberté d’élever leurs animaux sur 35% des grands espaces de la Suède, montagneux d’une part, boisés d’autre part. Ils ne sont néanmoins propriétaires d’aucune terre. Leur avenir est donc étroitement lié à celui des propriétaires des terres, dont la moitié est détenue par des entreprises forestières. Depuis plusieurs années, une nouvelle bataille fait rage en territoire Sápmi. La déforestation des massifs du Nord de la Suède pour la production de bois est un nouveau danger pour les éleveurs Sami, qui voient l’habitat de leurs rennes s’appauvrir d’année en année. Des recherches récentes ont mis en évidence une diminution drastique de la richesse en lichens dans les forêts du Nord de la Suède (-71% en 60 ans), le carburant des rennes pendant l’hiver. Cette diminution est étroitement liée à l’expansion de forêts de plus en plus jeunes et la diminution des massifs de plus de 60 ans, conséquence de la déforestation.
Photo. Parcelle déforestée au Nord de la Suède
Huit. C’est le nombre d’heures que nous avons passé dans les contrées enneigées de Blaikliden avec Andreas pour apprendre tout ça ! Nos pieds ont survécu à l’expérience, bien qu’ils aient subi quelques phases d’engourdissement. Heureusement, après une collecte de bois sec, Andreas a préparé un feu. Cela nous a maintenu en forme durant la longue quête d’élan. Il ne se montrera pas ce jour-là. Comme quoi, la chasse ici est un jeu de patience. Ce n’est pas grave, demain, on recommence.
Le saviez-vous ?
- 1, 2, 3
Combien de rennes élève Andreas ? Vous aussi vous aimeriez savoir ! Dans la culture Sami, les éleveurs ne mentionnent pas le nombre de bêtes qu’ils possèdent. Cela revient à montrer l’étendue de sa fortune, une pratique très mal interprétée chez les Sami !
- Plus vite que l’hiver
En Octobre, Andreas transporte ses rennes par camion vers les forêts de la côte Est de la Suède. L’objectif est de pouvoir déplacer le troupeau plus vite que l’arrivée de l’hiver (et de la neige). Autrefois, sa grand-mère déplaçait le troupeau à pied, ou plutôt… à ski !
- Elevage traditionnel… mais moderne !
Les éleveurs Sami ont su s’approprier les avancées technologiques pour mener leurs troupeaux sur de grands espaces. Parmi celles-ci, on peut en retenir quelques-unes :
- Quelques rennes bien choisis portent des colliers GPS pour étudier leur parcours et les repérer, si besoin. Les colliers sont généralement posés sur les leaders. Les informations récoltées sont une mine d’informations pour la gestion du pâturage des rennes par les éleveurs.
- A l’automne, avant le transport des animaux vers l’Est, les éleveurs rassemblent les troupeaux dispersés dans la montagne. Auparavant, les chiens de troupeau ou les motoneiges étaient utilisés pour cette étape. Aujourd’hui, les rennes sont repoussés en hélicoptère : un gain de temps énorme pour les éleveurs.
- Changement climatique au détriment des rennes
Dans la région de Vilhelmina, la température varie de -35°C en hiver à un maximum de 30°C l’été. Si la température de -35°C est la limite basse, les températures très faibles en hiver se font de plus en plus rares, en conséquence du réchauffement climatique. A première vue, on n’imagine assez peu l’impact sur l’élevage de rennes et pourtant, il y en a un. L’adoucissement des températures hivernales favorise un phénomène météorologique inquiétant pour les éleveurs de rennes : l’alternance entre des épisodes de gel et de dégel, liés à des températures tantôt négatives, tantôt positives. Les variations de température en-dessous et au-dessus de zéro en hiver entraînent la formation d’une épaisse couche de glace à l’interface entre la neige et le sol. Les plantes et lichens pris dans la glace ne peuvent alors être consommés par les rennes, qui s’épuisent à la quête de nourriture. Les conséquences sont catastrophiques pour les éleveurs de rennes, qui voient alors leur troupeau mourir de faim. Lorsqu’il se produit, ce phénomène climatique oblige les éleveurs de rennes à acheter des fourrages aux fermes Suédoises pour alimenter les animaux affamés.
- Peuple autochtone
Un peuple autochtone, appelé aussi peuple indigène, est une communauté dont les ancêtres ont été les premiers habitants sur le territoire qu’il occupent. Il possède une culture et une langue différentes des sociétés post-coloniales qui se sont installées par la suite sur le même territoire. Le peuple Sami compte aujourd’hui environ 80'000 individus, répartis au Nord de la Norvège, de la Suède, de la Finlande et de la Russie, sur le territoire Sápmi. En Suède, le territoire Sápmi est composé de 51 régions habitées par 51 communautés Sami. Le peuple Sami cohabite avec le peuple Suédois, qui représente 60 à 70% des habitants en territoire Sápmi.
- Sápmi ou Laponie ?
Le terme Laponie, généralement utilisé pour faire référence au territoire Sápmi, est un terme dont l’origine Suédoise « Lapp » signifie « porteurs de haillons ». Vous l’aurez compris, même si le terme Laponie s’est démocratisé avec l’essor du tourisme, il n’en reste pas moins péjoratif. Préférez lui Sápmi !
- Cinq infos pour mieux connaître les rennes
Le renne est un cervidé adapté à des environnements extrêmes et froids et à des sols acides et pauvres.
Le renne est une espèce ancienne qui a côtoyé le mammouth !
Le renne d’élevage est semi-domestique. Il possède donc toujours les caractéristiques du renne sauvage, tels que son comportement migrateur (on dit qu’un renne qui ne migre pas « devient fou ») et son instinct de fuite vis-à-vis des prédateurs.
Le renne possède des sabots très larges qui font office de raquettes et lui permettent de marcher dans la neige.
La gestation chez la femelle dure 7 mois, mais le développement du fœtus peut être stoppé si les conditions environnementales sont défavorables à la naissance. La mise-bas peut alors être décalée de deux mois !
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