Au cours du 19ème siècle, les porcs étaient le principal produit de Serbie exporté vers l’empire Austro-Hongrois. Le porc était majoritairement élevé dans les régions de Šumadija (centre de la Serbie) et Voïvodine (nord de la Serbie), où ils parcouraient les zones forestières à la recherche des ressources alimentaires naturelles telles que glands et vers. La race Šumadinka était l’une des premières races issues de la domestication du porc sauvage (sanglier) en Serbie. Aujourd’hui disparue, elle demeure l’ancêtre d’une race plus connue : la Mangalitsa. L’histoire raconte que le prince Serbe Miloš Obrenovič a offert à un comte Hongrois, nommé Jožef, plusieurs porcs de race autochtone Šumadinka. Ce dernier a alors réalisé des croisements avec des races hongroises (Bacon et Salantor), pour créer une race spéciale, appelée Mangalitsa.
Couvert d’une épaisse couverture de poils lui donnant une allure de mouton, le porc Mangalitsa possède une croissance lente et une parfaite adaptation à l’élevage extensif. Sa fourrure lui offre la possibilité d’affronter tous types d’éléments (soleil, pluie, vent, neige…), ce qui justifie son élevage en Serbie, où les températures oscillent entre l’hiver et l’été de quelques trente degrés en-dessous et au-dessus de zéro. La race se divise en trois genres : la Mangalitsa blonde, la rouge et la « swallow-belly » ou hirondelle.
Après avoir parcouru plusieurs kilomètres d’un chemin de terre et de cailloux, nous avons atteint la ferme de Mićun Nikolić, peuplée d’environ mille porcs de race Mangalitsa sur le mont Radan, au sud de la Serbie. En arrivant sur place, nous avons été accueillis par un petit agneau curieux et téméraire, qui s’est écarté du troupeau pour nous souhaiter la bienvenue. On apprendra rapidement que le petit agneau âgé d’un mois, baptisé Mićko, est le symbole d’un triste évènement survenu un peu plus tôt à la ferme. Mićun Nikolić, le créateur du plus grand élevage de Mangalitsa du pays, est décédé le jour de la naissance du petit agneau. Ce récit lui rend hommage.
Ancien agent de police, Mićun Nikolić a quitté la stabilité de son emploi pour créer sa propre entreprise de contrôle technique il y a 20 ans. Loin de s’arrêter là, il a démarré un petit élevage de moutons sur sa propriété de 70 hectares, avant de s’adonner à l’élevage de Mangalitsa. Il a trouvé là une passion pour cette race rustique, qui ne nécessite que peu de main d’œuvre puisque robuste, autonome pour chercher la nourriture dans la montagne et très peu sensible aux maladies. C’est avec beaucoup de fierté que Mićun a élevé ses Mangalitsas, dont la race avait presque disparu en Serbie, évincée par les porcs blancs plus productifs.
C’est avec Tanja, sa femme aujourd’hui responsable de l’élevage, ainsi que ses deux filles, que nous avons parcouru la ferme à la rencontre des cochons laineux. Sur les 70 hectares de terre clôturés, quelques mille Mangalitsas de tous âges évoluent librement, tels des cochons sauvages. Les porcs se nourrissent essentiellement des denrées glanées dans la forêt et reçoivent en hiver un complément de maïs. Quelques bâtiments, ouverts sept jours sur sept et 24 heures sur 24, laissent aux animaux la possibilité de se protéger des éléments et aux truies l’opportunité de s’isoler pour mettre bas et élever leurs porcelets. Chez les Mangalitsas, trois à cinq porcelets arborant une parure rayée comme les marcassins naissent à chaque mise-bas. On est loin des races de porcs sélectionnées pour leur prolificité, qui donnent naissance à quinze ou vingt porcelets ! Les porcs sont vendus au détail aux particuliers ou aux éleveurs des quatre coins du pays, à partir de vingt kilos jusqu’à plus de cent kilos pour les porcs « prêts à consommer ».
La Mangalitsa est appelée « le bœuf de Kobé du porc », parce que sa viande est persillée (riche en gras intramusculaire) et forte en goût. La viande de Mangalitsa possède également une grande quantité d’acides gras insaturés qui lui confèrent des propriétés intéressantes pour lutter contre le « mauvais cholestérol ». Les 28 et 29 novembre derniers, Mićun avait organisé à la ferme les premières journées de la Mangalitsa. Ces journées, rassemblant éleveurs de toute la Serbie et visiteurs avides de découvrir la race, était l’occasion pour tous ceux qui s’y rendaient de déguster des spécialités culinaires issues de l’animal : jambon, saucisses, bacon, …
On ne va pas se mentir, cette visite fut chargée en émotion. On souhaite plein de courage à Tanja et ses filles pour perpétuer l’élevage construit de toutes pièces par leur mari et père passionné.
Comments